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Emmy TG.

Six mois

Julie a mal depuis six mois. Camille a regardé son meilleur ami mourir il y a six mois. Stéphane a observé la scène derrière la vitrine de sa boulangerie il y a six mois. Mathias est mort il y a six mois. 4 âmes errantes, reliées depuis six mois. Julie : C’est difficile. Elle a mal. Elle ne veut pas dire au monde qu’elle a mal, parce qu’il lui a pris son amour. Ou presque, c’est la vie. Même pas, c’est le destin. On lui a fait croire ça, on lui a dit, pourtant, que ce n’était pas sa faute, que c’était leur faute, à ces deux inconnus qui se sont permis d’enlever la vie de son amour. Alors Julie s’est tue, a arrêté de pleurer, du moins, devant les autres, et elle assisté à ce procès, où les inconnus ont pleuré en entendant leur peine. Dix ans. Julie trouve ça ridicule, ce ne sont pas des larmes forcées et dix ans de prison qui vont ramener Mathias à la vie. Il est mort, on l’a renversé à la sortie du lycée, devant la boulangerie, et quand son cœur s’est définitivement arrêté de battre dans l’ambulance, la Mort l’a presque emmené avec regret, même si plus tard, il l’aurait empêchée de faire son travail en devenant un brillant chirurgien. Et la Mort, dans son manteau noir, a emmené Mathias sans lui laisser un dernier adieu à celle qui a appris les facettes de la vie au jeune homme. Camille : Le jour de l’enterrement, il a écrasé un escargot en s’imaginant ces inconnus à la place du gastéropode à coquille sous la semelle de sa chaussure. Mais rien à faire, ils lui ont arraché son meilleur ami, le garçon qui nuançait sa vie depuis leur entrée au primaire, celui avec il partageait des fous rires, des nuits blanches, des disputes, des parties de foot, des secrets, même les plus intimes, et des anecdotes en tous genres. Le jour du procès, c’est un gâteau qu’il a écrasé sur une vitre en maudissant le destin, en colère contre la vie. Des larmes et dix ans de prison, il avait protesté en se jetant sur les accusés, et avec les renforts de policiers, ont l’avait fait sortir de la salle où régnait un silence trop sérieux pour lui. Et aujourd’hui, il fait les cent pas dans un couloir, jugé dangereux parce qu’il a exprimé trop fortement sa haine contre la vie. Encore une fois, on l’a sorti de la salle, cette fois de cours, et il s’est lâché, en faisant éclater la vitre à coups de poings rageurs, frappant avec précision l’étoile formée sur le verre au troisième choc. Alors enfin, les autres ont compris Camille quand il a essuyé ses larmes lorsque la sirène de l’ambulance qui résonnait au loin s’est tue en s’éloignant dans les rues en emportant avec elle des mauvais souvenirs. Stéphane : La vie est belle, les publicités sont mensongères. Elle les connaît bien ces slogans mensongers. Après l’accident elle n’a pas remis les pieds dans sa boulangerie de la grande rue. Ce commerce ne lui plaît plus autant qu’avant, et malheureusement, elle ne peut pas le quitter -question d’argent - maintenant qu’elle a peur de la vie. Assez peur pour savoir que la vie n’est pas toujours belle, et que la mort est moche. Elle le sait bien maintenant, quand, derrière son comptoir et son présentoir de bonbons, elle a vu une vie s’envoler, une vie qu’elle connaissait bien qui s’est terminée par deux irresponsables. Alors à la demande des policiers, Stéphane a tout raconté, elle a serré une adolescente dans ses bras, une mère, d’autres proches du jeune homme et avec ça, elle a appris que les publicités les plus réalistes sont celles de la sécurité routière. Hier, elle les connaissait ; aujourd’hui c’est différent, elle les subit, elle les ressent, elle les éprouve, et le visage de l’adolescent surpris par la mort restera à jamais gravé dans sa mémoire. Demain, quand elle reprendra son petit commerce après six mois de souffrance et de nuits rythmées d’insomnies, elle appréhendera la vie dans sa boulangerie bleue de la grande rue, derrière son comptoir et son présentoir de bonbons. Mathias : Mathias est mort. Je suis mort, cette phrase, il l’a pensée plusieurs fois, quand il a fait une bêtise étant petit, quand il a testé ses limites pendant des soirées avec des amis, quand il a eu une punition à l’école ou une mauvaise note à un devoir, mais aujourd’hui, c’est réel. Un crissement de pneus. Un crissement de pneus et la fin. Un crissement de pneus, la peur, et la fin. Un crissement de pneus, la peur, un choc, et la fin. Un crissement de pneus, deux visages aux yeux écarquillés et rougis, la peur, un choc, et la fin. L’appel de Julie, un crissement de pneus, deux visages aux yeux écarquillés et rougis, la peur, un choc et la fin. Le rire de Camille, l’appel de Julie, un crissement de pneus, deux visages aux yeux écarquillés et rougis, la peur, un choc et la fin. Tout est allé vite, très vite, trop vite, et Mathias a été emporté. Et pourtant, c’était si long, le rire de son meilleur ami à sa dernière plaisanterie, une histoire de Pepito, l’appel de sa petite amie, si parfaite, qui lui fait signe de l’autre côté de la rue, lui qui traverse prudemment hors du passage piéton en regardant bien de chaque côté de la grande rue, la voiture folle qui arrive dans un crissement de pneus, les regards partagés entre hilarité et terreur des deux personnes derrière le pare-brise, le choc violent, et la fin. Mathias n’a même pas eu le temps d’avoir peur, parce que le temps qu’il réagisse, la Clio gris sale était déjà passée. Ce matin, il n’a pas eu le temps d’embrasser sa mère, de dire au revoir à son père, pressé par son travail, de faire ses adieux à son grand frère, ce matin, il n’aurait jamais pensé qu’il allait mourir. Alors qu’il était dans cette ambulance, avec la mort qui consultait une jolie montre-gousset en or tirée de la poche de sa cape noire en laine épaisse, il a eu le temps de regretter, dans un demi coma tandis que les secouristes s’acharnaient sur lui. Ses derniers regrets formulés, il a laissé cette silhouette serrer sa main. Les doigts glacés se sont entourés autour de son poignet, un premier choc a secoué sa poitrine, un second l’a soulevée, le troisième a parcouru son corps, et la voix lugubre a résonné dans l’ambulance devenue soudainement calme et pesante. _Heure du décès, dix-sept heures et trois minutes. Alors qu’ils étaient proches, ou non, de Mathias, ils l’ont senti partir. Julie s’est un peu plus effondrée dans les bras de Camille. Camille a resserré son étreinte autour de Julie. Et Stéphane a demandé à sa vendeuse de faire sortir les clients de sa boulangerie. Julie survit, pleine de remords, elle se morfond le soir depuis six mois, seule dans son lit, regrette d’avoir appelé Mathias et de l’avoir sollicité toute la journée pour qu’il reste dehors, à traîner un peu après les cours au lieu d’aller s’enfermer chez lui avec ses manuels. Elle regrette de lui avoir fait traverser la grande rue. Camille résiste à la colère, à cette envie de se détruire pour se punir. C’est de sa faute, il en est convaincu, si Mathias a été distrait, à cause de la notification du message envoyé par son meilleur ami. Stéphane a tout le mal du monde à se remettre de cette scène lugubre, au lieu de crier et de fondre en larmes, elle aurait pu agir, elle n’a rien fait alors qu’elle avait les capacités de sauver la vie de cet adolescent. On lui a appris comment faire, au cours de nombreuses formations de secourisme, elle qui avait peur qu’un de ses enfants ai un problème, et maintenant, elle a honte de n’avoir rien fait, sauf pleuré. Égoïste, c’est ce qu’elle se reproche depuis.

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