2019, l'éruption d'une colère
L’année 2019 s’est révélé comme être l’apogée des colères populaires de la décennie. Cette éruption subite des peuples envers leurs gouvernements jugés corrompus, autoritaires et incapables de répondre à leurs revendications de justices et d’égalités sociales a conduit dans les rues des millions de personnes.
Au-delà de cela c’est la vie chère et le manque de perspectives d’un meilleur avenir, qui ont canalisé les ressentiments personnels de chacun en un cri commun. Alors que les inégalités entre super-riches et les classes moyennes et populaires continuent de se creuser, l’augmentation du coût de la vie se fait de plus en plus ressentir pour les moins nantis. L’élément déclencheur fut dans plusieurs pays des hausses de taxes sur des produits de premières nécessités. L’un d’entre eux, l’essence a pris à la gorge ceux qui n’ont pas d’autres choix que d’utiliser leur véhicule au quotidien pour travailler.
En France le mouvement des gilets jaunes est né après l’augmentation planifiée des carburants présentée pour des raisons budgétaires et écologiques par le gouvernement. Cependant, cela fût très mal accepté par une classe moyenne rurale peinant à vivre dignement de leur travail. Le mouvement, à l’origine, ne réclamait que la suppression de la taxe mais s’est rapidement élargie à des revendications politiques, fustigeant le fonctionnement « jupitérien » du pouvoir. Après plusieurs semaines de mobilisations et de violents affrontements partout en France, le président de la République E. Macron se résout à débloquer 17 milliards d’euros pour tenter d’apaiser la colère, alors que le mouvement bascule dans le jusqu’au-boutisme.
Malgré la couverture internationale dont ont bénéficié les gilets jaunes, les gouvernements étrangers n’ont pas semblé voir en eux les représentants d’une partie de leur classe sociale. Pourtant ces derniers mois ont montré que l’augmentation des carburants était l’une des sources de tensions les plus virulentes.
En octobre, la suppression en Équateur des subventions à l’essence et la mise en place d’un plan d’austérité en contrepartie d’un chèque de 4,2 milliards de dollars du FMI a drainé des milliers d’amérindiens dans les rues de la Capitale, Quito. Les affrontements furent si violents entre forces de l’ordre et protestataires que la Président Lenín Moreno fut contraint de quitter la capitale pour Guayaquil et de déclarer l’instauration d’un couvre-feu à Quito et la militarisation de la ville.
Violences au Chili
Au même moment c’est au Chili que la colère survient après la majoration du ticket de métro à Santiago et malgré une suppression rapide de la mesure l’emportement se répand dans les autres villes. Depuis le pays fait face à plus de trois mois de vives contestations anti-gouvernementales mettant en cause les inégalités socio-économiques abyssales. En effet, au lendemain de la dictature du général Pinochet dans les années 90, le Chili connaît une importante vague de libéralisation économique et de privatisation des services publiques. Au fil des années les disparités se creusent et le Chili devient l’un des pays les plus inégalitaires de la planète. C’est contre ce système qui ne garantit ni l’accès à la santé, à l’éducation, aux transports et même à l’eau que cet élan populaire s’exprime. Au bout de quelques semaines, le mouvement réussit à faire plier le gouvernement, qui a annoncé une série de mesures sociales sur les salaires et les basses retraites. Ces avancés sont de nature à apaiser le mouvement mais ne dissipe pas totalement les colères des chiliens.
C’est pour des motifs similaires qu’en novembre dernier les iraniens sont descendus dans les rues. Dans le pays où le prix de l’essence est le moins cher du monde, cette hausse soudaine de 50% a fait monter le prix du litre à 32 centimes d’euros. Cette décision du pouvoir intervient alors que l’Iran traverse une sévère crise économique en partie provoquée par les sanctions économiques américaines après leur retrait de l’accord de Vienne. Toutefois ces soulèvements inédits ont fait l’objet de méthodes expéditives par les autorités. En vue d’éviter l’amplification des manifestations, l’accès à internet fut coupé pendant plusieurs jours, isolant l’Iran du monde. Cette décision a amplement permis d’étouffer et d’éviter la diffusion d’images sur les réseaux sociaux et s’est accompagnée d’une répression impitoyable. Selon Amnesty International, en dix jours de blocages on compterait plus de 160 morts et 7000 arrestations. Cette contestation brève a exposé les fragilités et l’épuisement économique du pays.
Parallèlement, d’autres mouvements populaires ont émergé dans le monde. Découlant parfois d’une hausse du coût de la vie mais aussi s’insurgeant contre le système en place. Plusieurs années silencieuses ont contribué à nourrir les ressentiments populaires, renforçant une certaine méfiance à l’égard des gouvernants jugés corrompus dans un système égoïste voire autoritaire.
En Amérique du sud c’est la crise politique éclair de Bolivie, qui a précipité le départ en novembre du président Evo Morales. Fraîchement réélu pour un quatrième mandat, il est toutefois largement suspecté de fraudes électorales après avoir été déclaré vainqueur au premier tour de l’élection suite à un recomptage des voix. Pour éviter d’être arrêté par l’armée ou la police, il contraint de s’exiler au Mexique. Ce retournement sans précédent arrive alors que des critiques sur sa gestion du pouvoir totipotente commençait à émerger au sein de la communauté. Mais plus précisément cette crise redistribue les cartes géopolitiques dans la région et soulève des questions sur le retour de la droite au pouvoir.
Manifestation antigouvernementale à Alger, 22/11/2019
Durant l’année 2019 le monde arabo-musulman connaît lui aussi une vague de manifestations. Le Hirak en Algérie débute en février lors de manifestations d’abord sporadiques, qui vont rapidement gagner tout le pays et dont Alger est l’épicentre. Le trouble se développe au lendemain de l’annonce pour la réélection du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. C’est durant des mois de protestations restées pacifiques que toutes les classes sociales vont se succéder dans les rues : avocats, médecins et étudiants manifestent leur rejet d’un régime incarné par un président en incapacité de gouverner.
Cependant malgré les nombreuses avancées, en 37 semaines la situation politique reste compliquée. Le retrait de la candidature du président Bouteflika le 11 mars et sa démission quelques semaines plus tard n’apportent aucune solution. Suit donc l’instauration d’un gouvernement provisoire et deux reports de l’élection présidentielle, qui s’est finalement tenue le 12 décembre dernier. Largement boudée par la population, le nouveau président élu Abdelmadjid Tebbounne incarne encore trop l’ancien système Bouteflika. Dans une Algérie tenue par l’armée et par la classe dirigeante le verni se fissure autour du pouvoir. L’armée apparait alors comme le véritable pivot incarné par le général Ahmed Gaïd Salah, chef de l’État-major et organisateur en coulisse de l’élection présidentielle. C’est lui qui a précipité la chute du président Bouteflika et a essayé d’enrayer le mouvement populaire pacifiste. Sa mort le 23 décembre a pris de court le pays alors qu’il avait été un pivot dans la gestion de la crise.
Il est cependant trop tôt pour dire jusqu’où ce bouleversement politique ira, même si pour l’heure il n’a réussi qu’à changer la façade d’un régime qui durait depuis plus de deux décennies. Nul ne peut dire si l’Algérie se dirige vraiment vers une ouverture démocratique prochaine.
Simultanément en décembre, c’est le Soudan qui se soulève. Ce pays pauvre d’Afrique vit sous le joug d’une junte militaire et de son président Omar el-Bechir, resté au pouvoir pendant plus de 29 ans. Ces protestations à l’origine sont nées après le triplement du prix du pain, aliment de base pour une population nécessiteuse. Les mouvements de contestations vont alors prendre la forme de vastes campagnes de désobéissances civiles paralysant la capitale et demandant un changement de régime. En Avril 2019, le président est renversé par un coup militaire, dans la foulée s’instaure un Conseil de souveraineté partagé entre militaires et civils au vu de préparer une transition démocratique et des élections en 2020. Dans cette ancienne dictature, la possible démocratisation du pays n’est pas sans déplaire aux voisins régionaux tels que l’Égypte et l’Arabie Saoudite, tous deux hostiles à tous mouvements populaires protestataires. Ce processus risque néanmoins de prendre de nombreuses années avant de trouver une stabilité politique durable.
Manifestations à Beyrouth, 22/10/2019
Le Liban connaît lui aussi une grave crise politique qui cristallise la société et accentue les velléités envers le pouvoir jugé corrompu et sous influence iranienne par le biais du Hezbollah libanais, organisation aux activités paramilitaires. C’est elle qui va principalement mener des actions d’intimidations contre les manifestants, qui dénoncent la collusion avec le pouvoir.
Irakiens manifestant contre le chômage chronique, 06/10/2019
Dans le sillage de l’influence iranienne il y a aussi l’Irak. Depuis octobre, la jeunesse irakienne a su faire face à la répression sanglante des forces de sécurité largement soupçonnée d’être accentuée par la tutelle iranienne au travers des milices chiites. Bilan 600 morts en trois mois et près de 17 000 blessés. Cette jeunesse scande son ras le bol du chômage, de la corruption et des services publiques moribonds. Parmi une population à 60% en-dessous des 25 ans elle s’interroge sur son avenir dans le pays.
De manière plus globale c’est l’influence de l’Iran qui est rejeté dans ces deux pays du Proche-Orient. Présence qui était incarnée par le général Qassem Soleimani, organisateur de la politique étrangère iranienne. Principal commandant des Gradients de la révolution et considéré comme un pilier de la République Islamique, sa mort le 3 janvier dernier par une frappe américaine exacerbe les tensions dans la région et l’éventualité d’un conflit armé entre Washington et Téhéran.
Cependant l’Asie n’est pas exemptée des craintes autour de son avenir démocratique. Même si le continent connaît un développement économique certain ces dernières années.
22 juillet 2019 - la violence a déferlé contre les manifestants
Alors que la région administrative spéciale prospère qu’est Hong Kong glisse de plus en plus sous la domination de Pékin, qui n’hésite pas outrepasser l’accord de restitution de l’ancienne colonie britannique, le peuple Hongkongais affiche et continue de montrer son refus du modèle politique chinois et souhaite garder son indépendance partielle.
La dernière proposition de loi portant sur l’extradition de ressortissants depuis Hong Kong vers le continent a lamentablement avorté et a eu l’effet terrible pour le gouvernement de rassembler tout un peuple dehors.
On ne s’étonne plus des manifestations monstres regroupant plus d’un million de citoyens parmi les sept millions d’habitants. Ce n’est pas le premier soulèvement populaire que connaît l’île. Déjà en 2014, le mouvement des parapluies avait rassemblé la jeunesse de la rue mais s’était soldé par un échec et par l’emprisonnement de figures étudiantes. Aujourd’hui la contestation s’est étendue à toute la société et les milieux d’affaires peu enclins au désordre ont même affiché un certain soutien. Mais tous les moyens sont bons pour faire faiblir l’appui des hongkongais : intimidations, menaces professionnelles, fichage des manifestants et poursuites judiciaires sont utilisées. Cependant, face à l’immobilisme de l’exécutif soutenu sans réserve par Pékin une frange étudiante s’est radicalisée et est sortie du principe de non-violence. Ils ont péniblement obtenu le rejet total de la loi. Mais ils réclament désormais la création d’une commission d’enquête externe et indépendante sur les violences policières, la mise ne place du suffrage universel, la démission de la cheffe du gouvernement Carrie Lam et la suppression des termes émeutes et émeutier. A présent les manifestants se battent face à un gouvernement qui ne cédera probablement jamais aux revendications de la rue. Des questions restent en suspend sur le futur du mouvement, va-t-il réussir à perdurer ou va-t-il pourrir comme tous les autres ? Hong Kong est voué à intégrer pleinement le système chinois en 2047 si d’ici là la cité ne l’est pas déjà.
En ce début d’année 2020, on ne peut qu’espérer que ces mouvements et d’autres aspirent à atteindre leurs buts de liberté et d’égalité.
Faire de cette nouvelle décennie le commencement d’une vaste transformation de notre modèle politique, économique et sociale viable pour la planète et les générations à venir.
Source image
Hong Kong :
https://www.lesechos.fr/monde/chine/a-hong-kong-la-police-laisse-des-gangs-armes-frapper-les-manifestants-1039717
Algérie :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/25/en-algerie-mandat-de-depot-pour-un-chef-d-une-association-active-dans-la-contestation_6020420_3212.html
Liban :
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/manifestations-a-beyrouth-une-crise-libanaise-des-gilets-jaunes-20191021
Chili :
https://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/violences-au-chili-43-personnes-au-moins-ont-perdu-la-vue-alertent-des-medecins_3674733.html
Irak :
https://www.sudouest.fr/2019/10/06/contestation-en-irak-bagdad-annonce-des-mesures-sociales-pour-tenter-de-calmer-la-protestation-6661688-4803.php