TNJH Chapitre 1): Andrzej
Essoufflé par sa course folle dans les escaliers, le jeune homme se laissa tomber sur le canapé en fixant le plafond.
Le temps de chercher sa respiration, il fixa ce point vert au plafond, une gommette qui avait été collée là et qui restait un mystère. Lui aussi était un mystère. Ses cheveux noirs, rivalisant avec les plumes d’un corbeau, soulignaient son regard doré et accentuaient l’angle de sa mâchoire. Il était beau, de toute évidence, et attirait les regards quand il se décidait à sortir.
Mais effrayé par le monde extérieur, il passait le plus clair de son temps enfermé chez lui, ou alors dans ces longues allées d’étagères dans les sous-sols du conservatoire de Paris. Aujourd’hui il ne comptait plus ressortir de son trou, enfin caché du monde extérieur après avoir eu un contact avec celui-ci dont la seule idée lui donnait la nausée.
Remis de sa folle course dans les escaliers dans le seul but d'aller se réfugier au dernier étage de l’immeuble haussmannien, le jeune homme se redressa en s’étirant, cherchant la motivation nécéssaire pour aller ranger ses courses. Il avait la flemme, mais son côté maniaque parla pour lui, et même pas dix minutes plus tard, tout était à sa place, dans un ordre à la fois maladif et rassurant.
Tout contrôler. Tout organiser. Et il serait hors de danger.
Un coup d'œil à la porte du four confirma ses pensées: il était temps de se mettre aux fourneaux s’il ne voulait pas encore manger quelque chose commandé dans un de ces petits restaurants à emporter à en faire pleurer les diététiciens qui se trouvaient à chaque coin de rue du quartier. Ou pire, s’il ne voulait pas encore se retrouver condamné à manger des courgettes cuites à la vapeur. Il n’avait rien contre les légumes, mais alterner entre malbouffe et diète était plus que déprimant pour lui qui n'avait pourtant jamais porté une très grande attention à ce qui se trouvait dans son assiette.
Habitué à la petite cuisine de l’appartement sous les combles - plutôt spacieux vu les loyers parisiens il devait l’admettre - il sortit rapidement ce dont il avait besoin pour faire ses raviolis. La cuisine n’était pas son fort, il laissait volontiers cette étrange fascination pour les fourneaux à son frère qui depuis petit passait le plus clair de son temps dans la cuisine à aider sa mère à embaumer la maison de milles saveurs délicieuses. L’aîné maniait à merveille la mélodie des casseroles tandis que lui peinait à couvrir de ses petits doigts une gamme complète sur le grand piano droit du salon.
Mais en dépit de cette répartition familiale des talents, il cuisinait plutôt bien les pierogi, se réconfortant dans ces douceurs sucrées quand son pays lui manquait trop. Rapidement il se retrouva enfariné, pétrissant avec soin la pâte avant de la laisser reposer dans le réfrigérateur pour s’attaquer aux pommes de terre pour farcir les raviolis, qui cette fois composeraient le plat principal. C’est à ce moment que Josepha décidé de pointer le bout de son nez dans la cuisine, les joues encore fraîches d’être restée trop longtemps dehors.
La jeune fille laissa échapper un gloussement appréciateur en voyant ce que son petit-ami préparait, les sourcils légèrement froncés par la concentration et un peu de farine sur le front, quand il avait encore une fois chassé cette fichue mèche qui lui retombait devant les yeux. Quand il eut enfin fini de peser les ingrédients, il essuya ses mains sur son tablier et se tourna pour enlacer tendrement sa petite-amie qui lui présenta ses lèvres rosées en souriant.
“ - Mój anioł…
- Ça a été ta journée ? enchaîna-t-elle, souriant un peu plus au surnom doux qu’il lui avait donné.
- Trop de monde dans le métro…
- Paris ne serait pas Paris sans tous ces gens pressés !”
Habituée à sa ville adoptive, la jolie blonde n’avait aucun problème à côtoyer le flux incessant de voyageurs dans les couloirs souterrains. Encore moins quand elle se reconnaissait sur une des grandes affiches collées sur les murs du métro parisiens.
En revanche, pour un agoraphobe comme son petit-ami, se retrouver confronté à un paquet d’inconnus oppressants dans une rame bondée était plus qu’un enfer.
Le jeune homme frissonna en repensant à cette sensation désagréable de ne rien contrôler de ces individus menaçants qui même s'il ne le calculent pas du tout - occupés à râler ou à faire la tête selon les magnifiques clichés du métro parisien - représentaient un véritable cauchemar. Il ne pourrait jamais s’y faire, mais devait se résoudre à les côtoyer, s’enfonçant dans son mutisme, écouteurs dans les oreilles et capuche sur la tête dès qu’il sortait. Hors de question de prendre des risques supplémentaires, déjà qu’il ne pouvait pas utiliser de voiture dans les rues plus qu’encombrées de la capitale.
Alors il devait subir matin et soir le métro parisien bondé en luttant pour retenir les larmes douloureuses qui accompagnaient toujours ses angoisses. Trop de monde, trop de potentielles âmes-sœurs. Il redoutait plus que tout le jour où son cœur s’alignerait sur celui d’une personne proche, à cause d’un regard, d’un effleurement, ou d’un éclat de rire. Il ne voulait pas rencontrer cette personne qui fera de sa vie un enfer, il ne pouvait pas laisser son cœur battre au même rythme qu'un autre.
Elle a le cœur brisé…
Interrompu dans sa tâche par ses pensées sombres, le noiraud sursauta quand une main se posa sur son épaule pour attirer son attention. Sous la surprise, le couteau dérapa, et une légère entaille parcourut son doigt, une goutte écarlate perlant au bout de celle-ci alors qu’il étouffait un juron avant de se mettre au-dessus de l’évier. Coupable, sa petite-amie s’approcha pour constater les dégâts, remarquant avec étonnement qu’il n’y avait déjà plus qu’une trace claire sur la peau blessée. Consterné, le jeune homme laissa échapper un long soupir, et se remit au travail après avoir passé sa main rapidement sous l’eau, faisant disparaître toute trace de l'incident.
“- Jo… la coupa-t-il avant qu’elle n’ait pu faire une remarque sur la puissance de ce lien qui le terrifiait lui et qui l’indifférait elle.
- J'allais juste dire qu’il faudrait arrêter de penser à des amandes bleues quand tu cuisines. La dernière fois ça a failli mal tourné.
- Je ferai attention…”
Peu convaincue par ces quelques mots soufflés par habitude, elle leva les yeux au ciel et plaqua un baiser bref sur sa joue avant de quitter la pièce. Parfois il fallait mieux le tenir loin des cuisines pour ne pas risquer un accident idiot. Combien de fois l’avait-elle retenu d’aller chercher ses toasts dans le grille-pain avec une fourchette ? De se couper en laissant ses pensées divaguer en épluchant un oignon ? De repeindre la cuisine en oubliant de mettre un couvercle au-dessus d’un plat en sauce ? Trop de fois, alors elle s’assurait de toujours passer derrière son rêveur de petit-ami quand il s’aventurait en cuisine.
Rassurée, Josepha détacha ses longs cheveux blonds qu’elle secoua, brossa rapidement avec ses doigts pour les démêler, puis recomposa en un chignon bref d’un geste qui trahissait l’habitude. Un fois cela terminé, elle récupéra le courrier qu’elle avait laissé sur la petite coiffeuse dans l’entrée qui était couverte de bric et de broc ramené et déposé à chaque passage.
Quelques publicités furent vite écartées du paquet, rien de très intéressant, elle se concentra plutôt sur les trois enveloppes qui restaient dans sa main. Andrzej Jeleński, indiquait la première. Elle la mit de côté, repérant le papier du conservatoire de Paris. Les deux autres étaient pour elle, traitées tout aussi brièvement que les publicités, à la différence qu’elles avaient une réelle valeur.
Parmi elles, une carte postale de sa tante, qu’elle lirait avant de dormir, rêvant de ses voyages aussi nombreux que passionnants avant de se blottir contre son petit-ami, profitant de sa chaleur comme d’un trésor, sachant à quel point il se refusait de se laisser atteindre par les autres.
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