Chapitre 9): Jude.

C'était la folie ce soir. Un stade entier à l'acclamer, danser et chanter de tout son cœur, entraîné par le rythme toujours plus soutenu des chansons et les six danseurs sur la scène qui les menait.

Toute cette foule rassemblée, c'était grisant, fou, enivrant, poussant le jeune homme à se déchaîner sur scène pour satisfaire son public.

Mais malgré toute son énergie et sa joie de monter sur scène, il se sentait divisé, comme si une part de lui était en train de l'entraîner vers le fond. Il faisait de son mieux pour ne rien laisser paraître, exagérant même parfois son sourire et redoublant d'efforts sur la scène, jouant avec les lumières vives qui parcouraient l'espace, balayant de temps en temps la foule, jusqu'à revenir se braquer sur lui alors qu'il entamait le refrain de son meilleur titre, celui qui l'avait fait connaître au monde entier. Cette chanson soufflée par la sensible et puissante voix de son Jiminy Criquet à lui.

Porté par les basses puissantes et le rythme endiablé mené par les musiciens, il traversa en quelques bonds la scène, apparaissant au plus près de ses fans qui s’époumonaient à reprendre le refrain et à hurler de joie. Le cœur gonflé d’allégresse malgré ce poids qui lui pesait de plus en plus, il termina le refrain sur une note plus haute, faisant redoubler les cris de son public avec ce changement qui tombait si bien sur la mélodie.

C’était cela sa raison de vivre, se laisser porter par le rythme entraînant et chanter, tout donner dans sa passion avec le plaisir d’avoir une foule de personnes l’acclamant. C’était une belle revanche sur tous ceux qui l’avaient traîté d’incapable, de simplet ou d’autres qualifications dégradantes, puisqu’il trônait maintenant en haut des chartes après avoir fait les têtes d’affiche. D’ailleurs, dès que cette courte tournée serait finie, il repartirait sur les plateaux télés dans un film plus qu’attendu et avec un joli contrat négocié par Charlie.

Charlie, qui était dans les coulisses, affichant un sourire ravi en flirtant avec un des techniciens. De temps en temps, elle reportait son attention sur la scène, vérifiant que tout allait bien. Les tensions avec Jude ne s’étant pas apaisées, elle tentait de rester en retrait, de ne pas tout contrôler comme il le lui reprochait, mais c’était plus fort qu’elle.

C’était devenu une véritable obsession, d’abord l’assurance de protéger son frère, de ne plus dépendre de personne, puis de gagner leur indépendance. Plus personne pour leur dicter leur conduite. Et c’était devenu un mode de vie.

Les dernières notes de la chanson s’envolèrent, soulevant une longue salve d’applaudissements tandis que, essoufflé mais heureux, Jude faisait un sourire à sa sœur. Charlie lui répondit, soulagée d’avoir enfin un regard, et se reconcentra sur le technicien, laissant son frère faire ce pourquoi il semblait être né.

Le jeune homme tourna le dos à son public en essuyant son front avec le bas de son t-shirt. Il faisait peut-être froid dehors, mais dans cette salle, il faisait affreusement chaud, surtout sur scène, et son malaise n’arrangeait rien. Au fond de lui il sentait que ça n’allait pas, mais il fallait tenir. Pour ses fans, pour son image, pour Charlie. Ce serait mal vu de couper court à un concert pour un simple malaise. Récupérant une bouteille d’eau laissée dans un coin de la scène, comme un bon nombre d’autres, il replaça en même temps une de ses oreillettes qui se faisait la malle après le morceau énergique.

Distrait quelques instants, il trébucha à peine en répondant à un des musiciens qui faisait un commentaire sur la soirée. Il sourit, mais en réalité, il l’entendit à peine. Ce nœud si présent dans son estomac lui noua la gorge alors qu’il rattrapait sa bouteille d’eau qui venait de lui échapper des mains. Il souffla, longuement, avant de prendre une inspiration profonde suivie de quelques gorgées, espérant effacer son malaise.

Tout s’effondra soudainement, comme si le brouillard qui l’envahissait depuis le matin venait de l'absorber tout entier. Vacillant, il lutta contre le vertige, mais une vive douleur le faucha soudainement, somme s’il venait d’être percuté par une force invisible.