Crise des sous-marins
Cet article, consacré à la crise des sous-marins qui a éclaté entre la France et l’Australie, se veut de mettre en lumière le malaise entre alliés européens et américains, et les nouvelles dynamiques géostratégiques dans la zone indo-pacifique. Cet épisode de tension diplomatique est révélateur des nouvelles stratégies qui se mettent en place dans l’océan Pacifique.
La France apprend la décision de l’Australie de résilier un important contrat portant sur douze sous-marins barracudas vendus par Naval Group, au profit de sous-marins américains, déclenchant aussitôt la colère de Paris.
Sous-Marin Nucléaire Lanceurs d'Engins / SNLE-NG type le triomphant Le Vigilant
À l’évidence, les conséquences économiques et sociales sont fâcheuses, mais les aspects géopolitiques ne sont pas moins importants. La France n’a pas seulement perdu un contrat, elle a le sentiment d’avoir été trahie par ses alliés anglo-saxons.
Canberra renonce à son contrat pour acheter d’autres sous-marins et contracter une alliance stratégique avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni nommée l'AUKUS. Ce sentiment de déclassement géopolitique conduit la France à rappeler ses ambassadeurs en Australie et aux États-Unis. La colère du président français, n’a pas été comprise au Danemark, mais un soutien a été apporté à Paris par les instances européennes. Ce n’est, bien sûr, pas la première crise entre Paris et Washington, depuis celle de 1966 qui avait vu le Général De Gaulle retirer la France du commandement intégré de l’OTAN pour conserver une autonomie stratégique; jusqu’à celle de 2003, qui avait amené la France à refuser une intervention militaire sous l’égide américaine en Irak. La présente crise est un camouflet d’autant plus terrible pour Paris, que la France sait qu’elle ne pourra pas longtemps rester fâchée avec un aussi important partenaire commercial, ni avec ce partenaire stratégique, dont elle dépend militairement ( pour le renseignement par exemple) . L’Union Européenne, dont de nombreux membres appartiennent à l’OTAN, n’a pas été consultée par les États-Unis, concernant l’affaire de la rupture de contrat, et surtout à propos de la nouvelle alliance stratégique nouée dans cette région indopacifique. Cela en dit long sur le mépris dans lequel les États-Unis de Joe Biden tiennent l’Europe, au moins sur le plan stratégique. Pour le président Biden, l’essentiel n’est pas de ménager ses alliés, mais bien de limiter l’influence de la Chine dans le Pacifique. On nomme cette nouvelle préoccupation le “pivot asiatique”. Elle a initialement été mise en place par Barack Obama et elle explique, en partie, le désengagement progressif des Américains au Moyen-Orient au profit de l’Asie-Pacifique.
On peut repenser à la déclaration du président français, quand il affirmait en 2019 que l’OTAN était en « mort cérébrale ». Cette affaire pose clairement la question de l’autonomie stratégique européenne. Un rapport du Sénat français, datant de septembre 2021, insistait sur l’analyse d’une Chine comme rival systémique. Il appelait à la définition d’une stratégie au niveau européen et multipliait les recommandations pour limiter les stratégies d’influence de Pékin, jusqu’au sein de l’Union européenne. Il incitait à ce que la prochaine présidence française de l’Union – premier semestre 2022 – soit l’occasion d’une prise de conscience des intérêts communs des Européens et d’une coordination des réactions européennes. Nombreux sont celles et ceux, qui ont vu cette crise diplomatique comme un signe pour penser et construire la défense européenne sans les alliés américains.
Siège de la commission européenne, Bruxelles, Belgique
Cette brouille entre alliés européens et anglo-saxons révèle aussi de nouvelles dynamiques dans une zone géographique de plus en plus stratégique : l’Indo-Pacifique.
Zone Indo-Pacifique
La France vient de perdre, avec Naval Group, un beau contrat d’armement signé avec l’Australie. Cela témoigne de la guerre économique sans merci que se livrent des alliés politiques au sein du camp occidental, et même au sein de l’OTAN. Washington est à l’initiative d’une nouvelle alliance de sécurité entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie : comme évoqué plus haut, l’AUKUS. Cette alliance laisse la France, pourtant puissance régionale grâce à ses territoires, en dehors d’un espace dont le caractère stratégique se renforce avec le temps. Il faut rappeler que la France possède la deuxième plus vaste ZEE (zone économique exclusive) derrière les États-Unis, grâce à ses très nombreuses îles disséminées dans tous les océans du globe.
Or, si la France veut rester une puissance qui compte au niveau international, elle doit peser sur le théâtre indopacifique. L'exclusion de cette nouvelle alliance pèse donc lourd sur son avenir stratégique. A l’évidence, cette alliance réunit des pays anglo-saxons dans une alliance stratégique anti-chinoise. Elle s’articule avec le Quad, qui unit aux États-Unis le Japon, l’Australie et l’Inde dans une alliance plus ambitieuse que l’horizon sécuritaire ; alliance dont la France est aussi absente. Les conséquences de ce « grand jeu » qui se noue en Indopacifique sont multiples. Cette nouvelle alliance sécuritaire contribue à une escalade des tensions dans un espace qui fait face à la formidable réémergence de la Chine et de l’Inde.
Les États-Unis poussent à la formation d’une alliance anti-chinoise, que la Corée du Sud et le Japon hésitent à rejoindre, craignant de radicaliser l’incontournable partenaire économique et commercial qu’est la Chine.
La vente à l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire - ce qui n’était pas le cas des sous-marins barracudas vendus par Naval Group – pose la question de la dissémination nucléaire dans l’espace le plus nucléarisé du monde.
La Nouvelle-Zélande annonce qu’elle n’acceptera pas ces sous-marins dans ses eaux.
New Delhi a déjà demandé un transfert de technologie à Washington. Comment lui refuser ce qui vient d’être accepté pour Canberra ?
Dans cette région du monde aux enjeux stratégiques éminemment décisifs, les tensions régionales et internationales (menace sur Taïwan, péninsule coréenne, menaces en mer de Chine et du Japon) sont d’autant de signes montrant l’importance géopolitique de la zone.
L’Union européenne annonce vouloir s’investir davantage dans l’espace IndoPacifique dont le poids géo-économique en fait un espace dont la première puissance commerciale du monde ne peut être absente. Les différents ministres de la Défense des pays membres de l’Union européenne se sont réunis. L‘idée que l’Europe possède une force d’intervention autonome progresse. Le temps de la prise de conscience de la dépendance militaire est venu dans un continent qui a mené plus de deux décennies de démilitarisation.
Le 16 septembre 2021, Joseph Borell, le vice-président de la Commission européenne — ainsi que Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité - faisait la déclaration suivante : "Le centre de gravité du monde se déplace vers la région indopacifique, en termes tant géo-économiques que géopolitiques. L'avenir de l'UE et celui de la région indopacifique sont liés l'un à l'autre."
Sources article :
Rapport du Sénat sur les relations avec la Chine : www.senat.fr/rap/r17-520/r17-520_mono.html
CIA Factbook Australie :
Site gouvernemental américain
Site OTAN :
Site commission européenne
Crise des sous-marins : « Le secret qui a entouré l’accord Aukus n’est pas une surprise » Article Le Monde
Sources images :
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