L’antibiorésistance, un problème de santé mondial
L'humanité a fait face aux bactéries pathogènes depuis des millénaires. L’hygiène a certes aidé à lutter, mais le combat était souvent à armes égales, notre système immunitaire face aux pathogènes. Mais c’était avant l’apparition des antibiotiques, et leur commercialisation en masse. Ces molécules, associées à une meilleure compréhension du monde microscopique, ont permis de soigner avec une grande efficacité beaucoup de maladies bactériennes. Le combat contre les microorganismes pathogènes semblait gagné. Sauf qu’en 2014, l’OMS publie un rapport, utilisant un terme assez nouveau : “ antibiorésistance ”. Avec des données de 114 pays, l’OMS montre que les antibiotiques deviennent progressivement inefficaces contre certaines bactéries, et ce partout dans le monde.
Aujourd’hui l'antibiorésistance est un problème de santé mondial, elle rend beaucoup d’infections difficiles à traiter, comme la pneumonie ou la tuberculose et peut affecter n’importe qui. C’est pourquoi de nombreux projets sont mis en place, comme l’appel à candidature ”Antibiorésistance : comprendre, innover, agir” lancé par l’Inserm.
La théorie de l’évolution expliquée avec des moustiques
Avant de se pencher sur le principe de l’antibiorésistance, il faut comprendre comment le mécanisme de l’évolution permet à des populations d’acquérir une résistance. Par exemple, dans les années 60, un grand nombre de moustiques s’étaient développés dans le Languedoc-Roussillon.
Pour réguler les populations, il a été décidé de couvrir les étendues d’eau, comme les lacs, où se développent les larves de moustiques, avec différents insecticides. Dès 1972, on a remarqué l’apparition de résistances, et très vite presque plus aucun insecticide n’était efficace. Des prélèvements de moustiques ont montré que les souches de 1975 étaient 25 fois plus résistantes que les souches de 1961, à comprendre qu'il faut une quantité d’insecticide 25 fois plus grande pour anéantir les moustiques.
Comment expliquer ce changement si rapide et si ciblé ? En réalité, ce n’est pas vraiment un changement : certains moustiques étaient déjà résistants avant l’apport d’insecticides ; cet apport n’a fait que les favoriser. En effet, seuls ces moustiques ont survécu, et ils se sont reproduits en transmettant cet avantage évolutif à leur descendance.
Plus les insecticides étaient utilisés en masse, plus la pression de sélection est forte, et plus la population de moustique sera en majorité constituée de résistants. Résistance qui est encore un problème aujourd’hui dans le Languedoc -Roussillon.
Il se passe la même chose pour les bactéries : plus on utilise de différents antibiotiques, plus on favorise la reproduction de bactéries résistantes jusqu’à ce qu’elles deviennent la norme.
La découverte des antibiotiques
Le premier antibiotique recensé fut la pénicilline, découverte par hasard en 1928 par Alexander Fleming, suite à une contamination accidentelle de ses cultures. Mais le chercheur n’ira pas chercher plus loin ; cette substance secrétée par les champignons Penicillium notatum ne sera utilisée que pour ses vertus désinfectantes pour faciliter les expériences sur des bactéries, en créant par exemple des milieux sélectifs.
C’est plus de 10 ans après qu’un autre scientifique, Ernst Boris Chain, pense à utiliser cette molécule pour des usages thérapeutiques. Avec Fleming et un autre scientifique, Howard Florey, ils arrivent à sauver des souris infectées par des streptocoques en 1940 avec la pénicilline.
La guerre ne favorisait pas la recherche, et bien que les 3 chercheurs soient partis en Amérique, leur travail avance lentement, malgré le fait qu’il ait eu de grandes aides de la part du gouvernement.
En 1944, après avoir trouvé un moyen de produire de la pénicilline en plus grande quantité et avoir mené plusieurs essais concluant, les Etats-Unis s’emparent de cette découverte et vont en faire un usage militaire, ainsi la pénicilline sera utilisée lors du débarquement notamment.
En 1945, Dorothy Hodgkin annonce qu’elle a déterminé la structure 3D de la pénicilline, comme elle l’a fait avec de nombreuses autres molécules, ce qui aidera à une meilleure compréhension de la molécule. C’est entre autres pourquoi elle reçoit le Prix Nobel de Chimie 1964.
Au fil des années, d’autres antibiotiques que la pénicilline ont été découverts et utilisés en masse. Aujourd’hui, on connaît plus de 10 000 molécules antibiotiques, même si seulement une partie est utilisée en thérapie.
Les antibiotiques, c’est pas automatique
On regroupe sous le terme antibiotique toute molécule qui empêche la croissance de microorganismes, principalement des bactéries. Ces antibiotiques sont classés par familles, et chaque famille est constituée de molécules issues d’espèces voisines, auxquels se rajoutent les composés chimiques d’origine humaine qui y sont similaires.
Chaque famille a une façon particulière d’inhiber le fonctionnement des bactéries, pour citer les plus célèbres :
- Les bêta-lactamines, dont fait partie la pénicilline, empêchent la synthèse d’une protéine composant la paroi bactérienne.
- Les macrolides vont empêcher les ribosomes de la bactéries de synthétiser correctement les protéines, mais ils s’accompagnent généralement de nombreux effets secondaires.
- Les aminosides perturbent le décodage de l’ARN chez la bactérie, ce qui veut dire que les protéines ne seront plus correctement synthétisées.
Chaque antibiotique a une manière de procéder qui lui est propre, et certains seront plus efficaces pour traiter certaines maladies. On utilisait donc les antibiotiques à disposition, et durant la seconde moitié du XXème siècle, ceux-ci furent utilisés en masse, puis la méthode s’affina avec le temps pour proscrire ceux ayant trop d’effets secondaires, et prescrire les plus efficaces en fonction de la maladie.
Mais, en 2014, donc assez récemment, l’OMS fait part du premier rapport global sur l’antibiorésistance, avec des données de plus de 114 pays, montrant que les antibiotiques deviennent inefficaces sur de plus en plus de bactéries. Ce rapport arrive à l’alarmante conclusion que si aucune mesure n’est prise, le monde se dirige vers une ère post-antibiotique, l’antibiorésistance est une sérieuse menace de santé publique. Les bactéries, à l’instar des moustiques, se sont adaptées et ont rendu nos armes inefficaces.
Quelles seraient les solutions ?
La seule défense réellement efficace contre les bactéries aujourd’hui, ce sont les antibiotiques. L’antibiorésistance est un phénomène naturel, les bactéries peuvent devenir résistantes sans l’action humaine, mais nous avons vu que cette action accélère le processus. Et il n’y a pas moyen de faire “dé-évoluer” les bactéries pour leur faire perdre leur résistance. Alors on peut se demander : comment lutter ?
C’est la question que se pose le tout nouvel appel à projet de l'Inserm : “ Antibiorésistance : comprendre, innover, agir ” . Cet appel, lancé en septembre 2021, a pour objectif de développer une recherche d’excellence en matière d’antibiorésistance. Différents projets ont été retenus, et les étapes de sélection sont en marche. Ce projet va permettre de mieux comprendre certains mécanismes de résistance des bactéries, et de proposer des solutions.
En restant dans le présent, on a déjà différentes propositions de solutions : tout d’abord l’usage plus raisonné des antibiotiques, à défaut d’empêcher les antibiorésistances déjà existantes, cette mesure permet d’éviter d’en créer des nouvelles trop vite. Ainsi ne prescrire que le strict minimum d’antibiotiques aux patients devrait ralentir le mécanisme. Donner la bonne dose de la bonne molécule pour une bonne durée.
En addition à cette solution, faire plus de prévention sur l’hygiène auprès du grand public permettrait d’éviter une surpropagation des bactéries, ce qui limite l’apparition de générations résistantes. Se laver les mains, donc, une mesure individuelle trop souvent oubliée, et dont les effets sont bien plus vastes et bénéfiques que seulement empêcher l’apparition d’antibiorésistances.
Il existe aussi d’autres solutions bien plus inventives, avec par exemple la phagothérapie.
Lutter contre les bactéries avec des virus
En effet, certains virus sont capables d’infecter et de nuire au fonctionnement de certaines bactéries. On appelle ces virus des bactériophages, ou phages. Ils servent à réguler naturellement les populations bactériennes et sont présents dans presque tous les écosystèmes, avec une très grande diversité.
Ernest Hankins a été le premier à observer une activité bactériophage en 1896. En comparant les eaux de la rivière Gange en Inde à de l’eau classique, il a remarqué que la bactérie causant le choléra ne survivait pas dans l’eau du Gange, ce qui n’est pas le cas dans l’eau normale. Il a donc émis l’hypothèse qu’il y a dans cette eau des substances, peut-être des virus, qui sont responsables de ce phénomène.
Mais on retient surtout les travaux de Félix D’Herelle, un biologiste franco-canadien qui a observé pendant qu’il étudiait les épidémies de dysenterie pendant la Première Guerre Mondiale des "tâches vierges" sur ses cultures de bactéries, c’est-à-dire des zones où les bactéries ne se développent pas. Il publie ses travaux en 1917 et il poursuivra ses travaux, défendra l’idée que ce sont des virus qui causent ce phénomène et non pas des enzymes comme beaucoup de scientifiques le pensaient à l’époque. Enfin, c’est lui qui donna le nom de bactériophages à ces organismes.
Bien que cette découverte ait plus d’un siècle, elle reste relativement peu utilisée. En effet, les virus sont très souvent spécifiques à une seule espèce bactérienne. C’est très pratique pour lutter contre l’antibiorésistance, parce que cela évite d’aider trop de bactéries à évoluer. En revanche, cette technique reste limitée, elle ne permet pas d’affronter une trop grande diversité de pathogènes. De plus, il faut les administrer sous des conditions très précises pour que les virus survivent dans le corps humain. La majorité de la littérature scientifique sur les phagothérapies effectuées sur des humains viennent de l’URSS et d’Europe de l’Est durant la Guerre Froide, et n’étaient pas concluantes, par exemple en Pologne, une étude sur 550 patients atteints de septicémie s’est soldée par la mort de 512 patients.
C’est pourquoi la phagothérapie avance lentement dans le monde aujourd’hui. L’ultra-spécificité des virus nécessite de savoir exactement quelle bactérie infecte l’hôte, ce qui est compliqué par le fait que des bactéries différentes présentent parfois les mêmes symptômes. Les seuls avantages des phages par rapport aux antibiotiques aujourd’hui, c’est qu’ils favorisent moins l’antibiorésistance et qu’ils n’ont pratiquement pas d’effets secondaires.
L’antibiorésistance est un des plus gros problèmes sanitaires aujourd’hui et probablement le moins médiatisé. C’est un phénomène impossible à inverser et difficile à limiter, et les plus grands spécialistes de la santé publique au monde n’arrivent pas à trouver de solution efficace. L’OMS recommande d’être très précautionneux avec les antibiotiques et de prendre des mesures pour éviter de se faire infecter par quelque maladie que ce soit, et de faire de la prévention sur ce phénomène.
Ainsi je ne peux que vous conseiller d’en apprendre un maximum sur le sujet et d’en parler à votre entourage, pour essayer, autant que possible, de limiter l’antibiorésistance. Vous trouverez à la fin de l’article les sources si vous souhaitez approfondir le sujet.
Sources :
https://en.wikipedia.org/wiki/Experimental_evolution L’évolution expérimentale, pour observer les mécanismes de l’évolution en labo
La résistance des Moustiques aux insecticides — Site des ressources d'ACCES pour enseigner les Sciences de la Vie et de la Terre Les moustiques développant une résistance aux insecticides
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2048009/pdf/brjexppathol00255-0037.pdf Publication des observations de pénicilline par Fleming en 1929
The Nobel Prize in Chemistry 1964 - NobelPrize.org Dorothy Hodgkin remporte le prix Nobel
Bêta-lactamines (pénicillines - céphalosporines) Fiche sur les bêta-lactamines
WHO's first global report on antibiotic resistance reveals serious, worldwide threat to public health Rapport de l’OMS en 2014
Résistance aux antibiotiques ⋅ Inserm, La science pour la santé Dossier de l’Inserm antibiorésistance, très complet
https://www.youtube.com/watch?v=DyOsS 8 FeAs Vidéo Inserm sur l’antibiorésistance
https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/antibiotic-resistance Un autre article de l’OMS très accessible au grand public
How Antibiotic Resistance Happens | Antibiotic/Antimicrobial Resistance Article du CDC ( Center for Disease Control and prevention ) sur comment les bactéries évoluent pour rendre les antibiotiques inefficaces.
https://ppr-antibioresistance.inserm.fr/fr/informations-et-communications/appels-a-projets/pre-annonce-appel-a-candidatures-inserm-chaires-junior-et-senior-antibioresistance/ Appel à candidats Inserm pour septembre 2021
Bacteriophage Therapy Article sur l’histoire, l’évolution et les avantages de la phagothérapie
La phagothérapie: Une arme crédible face à l'antibiorésistance Un autre papier un peu plus accessible que le précédent
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC90351/table/T1/?report=objectonly Exemples de phagothérapies réussies en Pologne et URSS
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8524003/ Pour aller plus loin : comment les nanotechnologies peuvent aider à une arrivée plus rapide de la phagothérapie chez les humains.
Bacteriophage prehistory Court article sur l’histoire de la découverte progressive de la phagothérapie
La phagothérapie fait ses preuves contre la pneumonie ⋅ Inserm, La science pour la santé 2015, test concluant chez des souris pour la phagothérapie
Sources images :
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