La persécution des Ouïghours en Chine
Désormais un enjeu diplomatique, la question des Ouïghours suscite aujourd’hui de vives réactions de la part de la communauté internationale. Enjeu révélateur du rôle essentiel joué par les réseaux sociaux dans sa médiatisation, il nous montre que le recours à la persécution d’une population précise, s’apparentant à un génocide (bien que cette notion n’ait pas encore été officiellement attribuée au cas des Ouïghours), n’a pas disparu et que l’Histoire semble se répéter plus qu’elle nous sert de leçon pour ne pas reproduire les événements du passé.
[Attention : cet article traite de sujets sensibles, tels que la torture]
Qui sont les Ouïghours, peuple du nord-ouest de la Chine ?
Les Ouïghours sont un peuple turcophone, à majorité sunnite. Installés dans le nord-ouest de la Chine depuis mille ans, on y compte aujourd’hui près de douze millions d’habitants Ouïghours, selon le gouvernement chinois. Descendants d’anciens nomades installés dans la région depuis le VIIIe siècle, ils ont pendant longtemps cohabité avec d’autres populations telles que les Mongols, les Kazakhs ou encore des membres de l’ethnie chinoise des Han, majoritaire en Chine. Pourtant, l’annexion de leur territoire par la Chine en 1949, renommé plus tard Xinjiang (littéralement « nouvelles frontières »), provoque de nombreuses tensions au sein de la population Ouïghour et de son territoire. Quelques années plus tard, en 2014, une série d’attentats menée par des terroristes Ouïghours exacerbent les tensions déjà présentes entre le gouvernement chinois et la province du Xinjiang.
Que se passe-t-il concrètement pour les Ouïghours en Chine ?
Xi Jinping, connu pour son caractère autoritaire, décide dès 2014 de durcir sa politique de répression contre le terrorisme et l’islamisme en ordonnant l’enfermement, dans des camps d’internement, de plusieurs dizaines d’Ouïghours que l’on soupçonne d’être « radicalisés ». Une mise en place justifiée par Xi Jinping, dans des documents secrets dévoilés par le New York Times, comme un devoir d’utiliser « les outils de dictature populaire pour éliminer l’islam radical dans la province du Xinjiang. ».
Cette campagne de répression de masse qui dure depuis sept ans, connait aujourd’hui un élan de médiatisation provoqué par la découverte de vidéos filmant les conditions de vie des Ouïghours dans les camps, et en dehors. Quand les Ouïghours ne sont pas internés, ils sont surveillés et contrôlés constamment par les autorités à l’aide de l’intelligence artificielle chinoise de vidéo surveillance, de reconnaissance faciale et de collecte d’ADN. Un système omniprésent et oppressant qui s’apparente à une dystopie dans laquelle les individus sont encadrés comme des criminels, et susceptibles d’être arrêtés et enfermés à tous moments. Lorsque c’est le cas et qu’ils sont jugés comme « représentant une menace » lors d’un procès qui définit la durée de leur incarcération, ils sont enfermés dans des camps et passent la plupart de leur temps dans une pièce d’approximativement 20 m2, avec une soixantaine de personnes, obligés de vivre dans une hygiène de vie quasi-inexistante. Aujourd’hui, ce serait plus de trois millions d’Ouïghours qui seraient enfermés dans ces camps.
Des Ouïghours attendant l’arrivée des trains qui les mèneront dans des camps,
le crâne rasé, les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, à l’ouest de Korla
(ville du Xinjiang). Cette capture tirée d’une vidéo filmée par un drone et publiée le
17 septembre 2019 sur le compte anonyme “War on Fear战斗恐惧”, daterait
d’Avril 2019.
À quoi sont soumis les Ouïghours dans ces camps ?
De nombreux témoignages de rescapés mentionnent de la torture, des viols et des trafics sexuels, des stérilisations et avortements forcés, des tests biologiques, des prélèvements d'organes, du travail forcé, des obligations formelles comme manger du porc et boire de l’alcool (des actes interdits dans l’Islam), de la famine, ou encore de graves maladies. Certains disparaissent sans laisser de traces, et d’autres rentrent chez eux en ne reconnaissant plus leurs proches. C’est ainsi plus de trois millions d’Ouïghours qui sont victimes de ces mauvais traitements cumulés à un lavage de cerveau pour annihiler leur identité ethnique et religieuse. Pour le programme d’endoctrinement et d’annihilation de la culture Ouïghoure, ils sont soumis à l’apprentissage du mandarin, de l’histoire et du droit chinois et des chants patriotiques à la gloire de Xi Jinping et du communisme tous les jours, dans l’objectif de devenir de « bons chinois » à l’image des autorités chinoises. Selon plusieurs constats, cette volonté de la Chine ne se limiterait pas aux frontières du Xinjiang, mais bien jusqu’à celles de l’Europe. Une situation qui rend compte de la menace réelle de cette oppression, lorsque des Ouïghours vivant en France sont harcelés, menacés voire contactés par l’ambassade chinoise pour « venir y collecter un colis » ; quand il s’agit réellement d’arrêter ces derniers dès leur arrivée sur le sol chinois. Face à cela, la France a condamné publiquement pour la première fois, en Septembre 2020, ces actes et a participé à la libération de plusieurs Ouïghours résidants en France avant leur arrestation par la Chine.
Dès lors, les témoignages et les associations de défense et de valorisation de la diaspora Ouïghoure vont lutter dans l’objectif d’avertir la population mondiale face aux violences commises en Chine. La multiplication de ces derniers ont notamment permis de libérer la parole des rescapés, et d’offrir une voix de plus en plus entendue aux victimes.
Quelles ont été les réactions internationales face à cette « découverte » ?
Bien que suspecté depuis longtemps, ce n’est qu’en Août 2018, après avoir nié l’existence des camps, que le gouvernement de Xi Jinping confirme l’existence de « camps de rééducation et de formation professionnelle » pour les Ouïghours. En essayant de justifier ces actes, beaucoup critiquent un changement radical de comportement de la part du président chinois. Derrière ses discours, on critique les raisons officieuses de cet enfermement des Ouïghours ; un acte réfléchi et stratégique sur un territoire qui a son rôle à jouer dans les nouvelles routes de la soie. Pour conforter son pouvoir sur la Chine et s’assurer du contrôle et de la fidélité des habitants du pays, Xi Jinping aurait opté pour l’éradication de cette population perçue comme une entrave à la volonté d’unité de la Chine. Dès lors, sous le choc et l’indignation, de nombreuses associations et témoins ont lancé des appels à l’aide au monde pour condamner ces actes. Bien qu’encore peu relaté par les médias télévisés, ce sujet est désormais partagé en masse sur les réseaux sociaux, tels que Twitter ou Instagram. Des initiatives qui permettent de transmettre la réalité des conditions de vies des Ouïghours, et de sauver la culture Ouïghoure progressivement supprimée en Chine (patrimoine culturel détruit, disparition de l’enseignement de la langue Ouïghoure dans les écoles, mariages entre Ouïghours et Hans, l’ethnie majoritaire en Chine, plébiscités…). Les actes de la Chine sont condamnés par la majorité des internautes du monde entier qui appellent les belligérants de l’ONU, ainsi que de leur État, à agir pour la protection des Ouïghours persécutés. Néanmoins dans un cadre diplomatique, les réactions internationales restent limitées.
Les États-Unis, principal rival de la Chine, ne manquent pas de confronter la Chine en s’exprimant clairement, dès décembre 2019, sur leur position face à cette répression chinoise. L’adoption par le Congrès d’un texte condamnant la politique d’internement menée par les autorités chinoises envers la minorité de la province du Xinjiang, prévoyait la mise en place de sanctions contre des hauts responsables chinois. L’objectif pour la première puissance mondiale était clair, « Nous envoyons un message à Pékin : l’Amérique observe et ne restera pas silencieuse. », déclarait la Présidente démocrate Nancy Pelosi. Un bras de fer entre la Chine et l’Occident qui s’intensifie progressivement, notamment avec la multiplication des sanctions envers Pékin. L’Union Européenne, de son côté, avait déjà visé quatre dirigeants chinois, pour violation des droits de l’Homme, qui étaient désormais interdits d’accès en Europe car jugés comme des responsables de la persécution Ouïghoure. Plus récemment encore, elle a décidé de faire pression sur la Chine en votant l'exclusion de tout examen de l'accord UE-Chine sur les investissements si Pékin maintient ses contre-sanctions (suite à celles de l’Union européenne) sur des diplomates européens. La Chine, qui réfute toutes ces accusations malgré les preuves tangibles, ne se laisse donc pas critiquée et ne reste pas silencieuse, en multipliant depuis les sanctions à l’égard des pays qui expriment leur opposition à cette dernière.
Les relations internationales sont aujourd’hui marquées par ce contentieux qui divise fortement les pays et qui montre que l’influence de la Chine dans le monde se renforce, tout en permettant à cette dernière de rester intouchable. La dépendance des pays mondiaux face à la puissance économique et diplomatique chinoise montre une limite à la possibilité de s’opposer à la Chine et au droit d’ingérence de l’ONU qui est dans l’incapacité, réelle ou feinte, de se mettre la Chine à dos. On peut dès lors remettre en cause les moyens d’action de ces différents acteurs, dans une situation dominée par la Chine et dans laquelle on cherche à maintenir une stabilité des relations internationales pour éviter un conflit. Une situation qui témoigne également des limites de l’ordre international instauré par l’ONU, et souligne l’hétérogénéité des poids de négociation des pays qui creuse la hiérarchisation de ces derniers dans l’ordre international. Mais ainsi, cette volonté de préserver l’ordre international à tout prix, sans bousculer la Chine, semble positionner la persécution des Ouïghours comme une affaire de second plan, sans grande importance. L’histoire qui semble se répéter nous montrerait-t-elle que la diplomatie a toujours occupé une place plus importante que la souffrance humaine ?
La mise en valeur récente de l’exploitation des Ouïghours dans des usines, pour des marques internationales telles que Nike ou Zara, a déclenché une reprise plus virulente des tensions entre l’Occident et la Chine. Aujourd’hui, c’est la division des pays musulmans dans leur réaction face à la situation (entre favorable, non favorable et sans avis officiel) et le rôle de l’ONU dans le contrôle de cette répression qui fait débat. L’organisation, témoin d’une forte division entre ces membres, n’est en effet pas réellement intervenue dans cette affaire, malgré des mises en gardes à la Chine. Une situation qui renforce les hostilités face à l’existence d’un Conseil de Sécurité à l’ONU, dont fait partie la Chine qui peut imposer son droit de véto et continuer sa répression contre la population Ouïghoure. Aujourd’hui, les débats quant à la qualification de cette dernière en « génocide » viennent renforcer la gravité de la situation et sa nécessité à être arrêtée.
Témoignages de victimes ou de témoins de la répression des Ouïghours :
« Je témoigne à visage caché, parce que je ne veux pas avoir de problème (…). Ma famille vit encore là-bas, et je ne veux pas que mon témoignage porte atteinte à leur sécurité. » - Anonyme
« Quand ces individus-là [Ouïghours atteints de maladies graves] sont rendus à leur famille, il leur reste vraiment deux, trois jours à vivre. Il y avait des images avec des gens à la tête déformée, qui avaient subis des tests biologiques. » - Gulhumar Haitiwaji (fille d’une victime des camps chinois)
« Même si j’ai retrouvé ma vie d’avant, mon état de santé n’est plus le même. Ma vue a fortement baissé. J’ai des soucis de santé, des douleurs au dos, aux articulations, ma mémoire se détériore également. De plus, j’ai peur facilement. » - Gulbahar Haitiwaji (rescapée des camps)
« Quand j’ai été relâchée, je suis allée directement à l’hôpital, mais l’un de mes fils est mort le lendemain. J’ai demandé à voir mon fils à l’hôpital, mais on ne m’a pas permis de le voir. » - Mihrigul Tursun (survivante Ouïghoure)
« [Lors des interrogatoires] Ils vous mettent sur la tête un dispositif métallique avec des fils électriques (…). Quand on est torturé avec des chocs électriques, on se dit vaut mieux mourir, parce que la douleur vous traverse partout, jusqu’aux veines et aux os. » - Mihrigul Tursun
« Son but [à la Chine] est là, c’est que les Ouïghours ne doivent pas exister. La différence ne doit pas exister. » - Dilnur Reyhan (chercheuse française ouïghoure et présidente de l'Institut ouïghour d'Europe)
« Il y a des témoignages d’instituteurs chinois qui se sont enfuis ailleurs et qui racontent les terribles conditions dans les camps pour enfants, où ils sont entassés comme des animaux (…), les enfants qui crient, qui pleurent en réclamant leur mère. » - Dilnur Reyhan
« Pourquoi la Chine ne les tue pas d’un coup ? Ou ne les fait pas disparaître d’un coup ? La Chine a les moyens bien entendu. La Chine, elle donne de l’importance à son image à l’international. (…) si personne n’avait réagi, elle l’aurait déjà fait. » - Dilnur Reyhan
« Comment venir en aide aux Ouïghours ? En tant qu’individu, il y a beaucoup de travail à faire. Dans un premier temps, s’informer de ce qu’il se passe, suivre l’actualité (…) informer les autres, son entourage, ses collègues, sa famille, ses amis… Ensuite, dans un deuxième temps, écrire à vos députés, à vos élus pour qu’ils réagissent, pour qu’ils fassent entendre dans l’hémicycle, dans l’assemblée nationale, cette tragédie et demander au gouvernement de fermer les camps de concentration. Si vous êtes étudiants, vous pouvez protester dans votre université pour que votre université demande aux universités chinoises de faire libérer les universitaires Ouïghours. » - Dilnur Reyhan
Source utiles pour en savoir plus :
• Une Ouïghour témoigne des persécutions en Chine
• Qui sont les Ouïghours, la minorité musulmane de Chine ?
• Site web de l’Institut Ouïghours d’Europe (aussi présente sur Instagram, et Facebook)
• Le récit de Mihrigul Tursun, survivante ouïghoure
• Le témoignage bouleversant de Omir, Ouïghour torturé en Chine
Source vidéo et images :
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