TNJH Chapitre 2): Jude (Elden)
Avec ses cheveux bruns en pagaille, savamment organisés d’un geste nonchalant du revers de la main, sa carrure qui ne laissait aucun doute sur sa musculature harmonieuse, et ses tatouages couvrant ses bras, Elden Lester avait l’air d’un personnage sorti tout droit d’une série télévisée. Ce qui n’était pas vraiment faux.
A ses treize ans, le garçon avait obtenu un rôle dans une série télévisée minable, qui deux saisons plus tôt avait décollé. Jusque là, personne n’avait vraiment fait attention au garçon apparu lors de la troisième saison. Avec son sourire et ses boucles brunes d’adolescent, le doux surnommé Winnie était là, dans l’ombre, en attendant son heure. Mais le public avait découvert un nouveau Elden quand à la septième saison, la magie de la puberté avait opéré et que le nouveau directeur de production avait jeté son dévolu sur lui.
Après la magnifique Maeve qui avait fait bander un bon paquet d'adolescents, l’amusant Chuck qui avait fait s’esclaffer le monde entier et la timide Camélia qui avait fait sourire pour ses bourdes, c’était au tour du sexy Elden de devenir le personnage phare de la série. Son expérience derrière les caméras lui avait permis de gagner en notoriété rapidement, remplaçant la fameuse Maeve - son interprète Carolina ayant sombré dans la drogue - , l’amusant Chuck - Michael ayant été viré des autres productions pour son narcissisme sans faille - et la petite Camélia - Julia qui était malheureusement cantonnée dans des rôles minables par son agent médiocre.
Par un concours de circonstances dont il était le grand gagnant, Eden Lester était le mec parfait, d’autant plus qu’on l'avait libéré de ses contraintes de personnage secondaire et qu’il avait enfin pu révéler au monde son véritable talent. Quoi de mieux qu’un Elden sexy ? Un Elden sexy et chantant merveilleusement bien.
Assis sur le bord de la piscine de l’immense villa dont il était le jeune propriétaire, Jude passa une main dans ses cheveux humides. Les pieds dans l’eau, il battit des jambes quelques instants avant de prendre son verre et d’en boire une gorgée. Chauffé par le soleil brûlant de Californie, son soda n’était plus qu’un infâme liquide sucré avec quelques pauvres bulles.
Il souffla, le sucre persistait désagréablement sur sa langue, et reposa le gobelet en plastique rouge avant de reporter son attention sur la piscine.
Deux jeunes femmes discutaient en faisant quelques brasses, échangeant les derniers potins du quartier en se rafraîchissant. L’une avait de longs cheveux blonds, remontés en chignon sur sa tête pour que ses mèches ne s’emmêlent pas dans l’eau chlorée, tandis que l’autre gardait sa casquette enfoncée sur sa tête pour protéger son crâne du soleil tapant de Los Angeles. A l’écart d’elles, le brun posa son regard bienveillant sur sa sœur qui riait de bon cœur avec son amie, lui renvoyant une gerbe d’eau avant de fuir de l’autre côté du bassin pour ne pas subir les représailles de la blonde qui la rattrapait déjà en quelques brasses aisées.
“- Aide moi, supplia-t-elle son frère en se rapprochant de lui.
- Jamais ! s’exclama-t-il avant de l’arroser.”
Vexée, la jeune fille lui attrapa le bras tandis qu’il se relevait pour éviter les conséquences de son attaque, et le tira juste assez fort pour lui faire perdre l’équilibre. Malgré l’eau qui avait chauffé toute la journée au soleil, le brun glapit quand il tomba dans la piscine, trouvant l’eau affreusement froide alors qu’il grillait au soleil quelques secondes plus tôt.
Vengeur, il tenta d’attraper sa sœur, mais celle-ci lui fila entre les doigts, sortant rapidement du bassin avec souplesse tandis que lui mit plus de temps.
“- J’y crois pas, monsieur joue de son image de beau-gosse sexy mais n’arrive pas à sortir de son immense piscine ! Elden Lester déçoit ses fans !”
Le jeune homme se renfrogna à la mention du nom de son personnage. Il ne l’aimait plus, maintenant qu’il était condamné, comme Daniel Radcliffe, à être appelé par son rôle et non par son nom. Il voulait être lui, Jude Jordan, acteur et chanteur, reconnu par son travail, et non pas Elden Lester, personnage de série, reconnu pour son cul.
C’était énervant à force, d’être ainsi oublié quand on le reconnaissait, et cette notoriété lui pesait souvent, malgré qu’il se plaise dans cette vie de luxe avec sa villa californienne et ses voitures de marque dans lesquelles il se faisait remarquer.
Coupé dans son élan, il soupira, passa une main dans ses cheveux pour rabattre les mèches dégoulinantes en arrière, et ramassa son verre avant de se sécher brièvement pour ne pas mettre de l’eau partout sur la terrasse.
Abandonnant ensuite sa serviette sur un des transats de la terrasse, il quitta l’espace pour rentrer dans la cuisine, rabattant aussitôt la baie vitrée derrière lui pour que la chaleur ne rentre pas trop dans la maison. Il n’aimait pas la clim, refroidir sa maison jusqu’à devoir mettre un pull et suer comme un porc au moindre pied mit dehors ne le tentait pas, et surtout, il n’oubliait pas qu’il avait pu s’en passer pendant quinze longues années de sa vie.
Il laissa une traînée humide derrière lui en allant jeter son verre dans l’évier, posant le gobelet vide à côté sur l’immense plan de travail en marbre avant de gagner le salon spacieux de la maison. Comparée à d’autres, la villa n’était pas grande, loin de là, les autres célébrités et riches personnes tout court arrivaient à se complaire dans le luxe d’une maison immense doté de dizaines de pièces, mais lui ayant vécu dans le brouhaha d’un minuscule appartement coincé dans une tour était plus angoissé qu’autre chose à l’idée de se perdre dans le dédale de couloirs de sa propre maison. La preuve, la première semaine il avait dormi dans le salon, et sa sœur avait fini par le rassurer en dormant avec lui dans sa chambre en souvenir de leurs nuits agitées d'enfants, ayant pitié de lui.
Maintenant la villa n’avait plus aucun secret pour lui, et hormis les étranges bruits du frigo immense et de son bac à glaçons, plus rien ne lui faisait peur. Le silence n’était plus un problème, réglé par les enceintes du salon qui la plupart du temps crachaient un son puissant avec des basses à en faire trembler les objets sur les meubles.
Dans un coin de la large pièce à vivre, un piano trônait, un peu bêtement, dans l’angle d’une fenêtre large et d’une grande étagère de vinyles. D’un autre côté, une cheminée permettait de se réchauffer l’hiver et de se prélasser toute la journée sous un plaid, les yeux rivés sur l’écran géant fixé au mur, surplombant des enceintes de qualité qui donnaient l’impression d’être au cinéma devant un bon film d’action - c’était mieux que les émissions de pêche ou de jardinage devant lesquelles le jeune homme s’abrutissait en tentant de s’endormir.
Enfin, une grande table entourée de six chaises permettait d'accueillir aisément dix personnes en ajoutant les quelques sièges manquants, même si elle servait plutôt de décoration, vu le nombre de fois où il avait mangé dessus. La dernière fois qu’il l’avait approchée, il était plutôt occupé à assouvir une autre faim.
En général il préférait manger sur la table de la cuisine, une pièce qui était probablement assez grande pour accueillir le salon et la kitchenette du taudis où il avait grandi.
Son regard se reporta sur le piano à queue. Il ne savait pas vraiment en jouer, seulement quelques mesures simples et enfantines, préférant ses guitares rangées dans le studio de musique au rez-de-chaussée. L'instrument majestueux était plutôt un fantasme d’enfant, quand il admirait les maisons dans les films et rêvait de la sienne, des étoiles dans les yeux en feuilletant des catalogues. Maintenant sa maison était celle qu’il avait tant imaginée en fixant le plafond pourri de sa chambre de gosse; un petit palace digne de figurer en première page d’un magazine publicitaire grâce au travail formidable des architectes.
Mais en plus d’être un rêve d’enfant, ce piano avait une tout autre valeur à ses yeux. Il était persuadé que son âme-sœur était pianiste, et que s’il venait un jour à croiser son chemin, il pourrait lui offrir cet instrument qui l’aurait attendue. D’ailleurs, comme un signe alors qu’il pensait à elle, sa voix résonna dans sa tête.
Jiminy Cricket était de retour.
Délicat et puissant, ce timbre le berçait dès qu’il l’entendait, s’envolant parfois loin de ce qu’il faisait alors que son alter ego chantait quelque part dans le monde. Un sourire aux lèvres, Jude s’approcha du piano, caressant du bout des doigts le couvercle en s’asseyant sur le tabouret pour savourer la mélodie. C’était plus triste que d’habitude, malgré qu’il ne connaisse pas la langue, le jeune homme ressentait la mélancolie de son âme-sœur, perdant son sourire alors qu’il sentait son cœur se serrer.
Plongé dans la tristesse de cet inconnu, il inspira longuement, sursautant à peine quand sa sœur posa sa main fraîche sur son épaule nue. Elle savait, elle avait toujours su, depuis que le lien de son petit-frère s’était révélé, que ce serait une relation puissante, à double tranchant. Les âmes sœurs étaient complémentaires, et celles partageant une connexion aussi intense devaient constamment s’équilibrer. Dans les moments de dépression profonde d’une moitié, c’était à l’autre de la consoler, malgré qu’elle soit aussi abattue que sa jumelle.
Voyant son frère sombrer peu à peu dans l’amertume après ses quinze ans, Charlie s’était donné une mission : protéger son frère de ce lien qui le faisait plus souffrir qu’autre chose.
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