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Emmy T-G.

TNJH Chapitre 6): Andrzej

Avec la promesse de passer une bonne soirée en tête, la jeune femme pressa le pas. Il était impensable pour elle de rater son métro, et même si en heure de pointe les rames s’enchaînaient assez rapidement, elle n'avait aucunement envie d’attendre le prochain wagon bondé qui se pointerai sur les rails. Alors elle accéléra, encore un peu, s’enfilant dans ce flot de voyageurs pressés en ne pouvant s’empêcher de se demander comment son petit-ami pouvait-il suivre cette vague. Un bon nombre de fois il l’avait entraîné dans ces couloirs souterrains, lui montrant une fois de plus ô combien il méprisait la foule. Elle qui avait l’habitude d’être constamment dans la lumière, fréquemment reconnue lors de ses sorties, elle s’était retrouvée à glisser silencieusement comme une ombre.


Là dessus, sortir avec Andrzej était un bon point. Mais sa peur inconditionnelle des autres était la plupart du temps un vrai poids. Se cacher, s’arranger pour faire disparaître les photos fuyantes, éviter la foule… toutes ces petites choses qui n’allaient pas vraiment de pair avec son métier.


D’ailleurs, en parlant d’éviter la foule, c’était assez compliqué sur ce quais bondé, où il n’y avait pas un petit bout de libre pour respirer. Et pour ne pas arranger cela, la majeure partie des personnes présentes souhaitait monter dans la rame prévue à peine deux minutes. Et en deux minutes, il pouvait s’en passer des choses…


Prenant le temps de souffler après sa course dans les souterrains, elle ne réalisa que trop tard qu’elle avait choisi la mauvaise place sur le quai. En effet, sans le vouloir elle s’était dirigée vers le premier endroit un peu plus libre, sans voir sa photo imprimée en grand sur une affiche publicitaire. Affichant son plus beau sourire en cette fin de longue journée, elle salua la jeune fille qui avait son téléphone braqué plus ou moins discrètement sur elle. Se désintéressant de cela, Josepha passa une main dans ses cheveux pour dégager ses yeux, se rappelant dans son geste qu’elle n’était plus blonde. Soudainement obnubilée par l’éclat orangé de ses cheveux, elle enroula une mèche autour de son doigt souriant, appréciant la douceur de celle-ci. C’était surprenant de voir ses cheveux d’une autre couleur, mais ce n’était pas plus choquant que cette fois où elle avait opté pour un brun foncé. Le roux lui allait plutôt bien, et bien qu’elle n’ait pas les taches de rousseur de Caroline et sa peau claire, ça accompagnait joliment ses yeux bleus.


Ravie, elle failli rater sa rame, mais se reprit bien vite en voyant la foule se mouvoir d’un bloc vers les rails pour s’entasser dans le wagon. Échappant un soupir blasé, elle lâcha ses cheveux tout juste colorés et se joignit au mouvement en se disant qu’elle n’avait que deux stations à faire et qu’elle serait bientôt dehors. Dans les couloirs souterrains, dans la rue, puis enfin chez elle. A la maison, où elle savait qu’un verre de vin doux et une grappe de raisin l’attendaient. Motivée par cette douceur - un péché mignon partagé avec son petit-ami - elle ne lâcha pas son sourire jusqu’à claquer la porte de son appartement.


Là, il redoubla d’intensité quand elle aperçut Andrzej devant la large bibliothèque du salon, étudiant avec soin un ouvrage à la couverture reliée. Perdu dans sa contemplation, il mit quelques instants à remarquer la présence de sa petite amie, affichant un air franchement surpris qui la ravit. Avec une pointe d’appréhension, Josepha s’approcha, rejetant par réflexe une mèche derrière son épaule en essayant de déterminer ce que voulait dire le regard du noiraud qui semblait figé.


"- Eh, mais c'est à moi ça, fit remarquer la rousse en détaillant son petit-ami.


- J'aime bien, répondit-il simplement en remontant ses lunettes sur son nez, redevenant soudainement bien vivant..


- Moi aussi. Mais je préférerais te l'enlever, ajouta Joe en jetant un regard entendu au noiraud qui leva les yeux au ciel en ne retenant pas son sourire en coin.”


Comme à chaque fois qu’elle retrouvait un des ses vêtements sur son petit-ami, la jeune femme l’observa sur toutes les coutures en le faisant tourner, avant de passer ses bras autour de son cou en riant.


“- Je vais finir par croire que c’est toi la fashion icon du couple, gloussa-t-elle en l’embrassant sur la joue. À me piquer mes fringues, je ne retrouve rien… je cherchais ça ce matin, je devrais la récupérer, tu penses ?”


Joueuse, Josepha posa sa main sur la boucle de la ceinture du noiraud. D’un simple geste, elle le rapprocha d’elle, le faisant sourire puis se mordre l’intérieur de la joue en la regardant dans les yeux, cherchant à sonder ce regard bleuté embrasé d’une étincelle de désir évidente. Finalement, il esquissa le premier geste, prenant doucement son menton entre ses doigts, maintenant un contact léger pour déposer un baiser délicat sur ses lèvres.


Ce fut bref, trop bref pour les deux amants qui se dévoraient déjà du regard, mais la tension de l’instant les retint, comme s’il ne fallait pas la briser tout de suite. Après un léger temps de suspens, il répondit à sa petite-amie, un sourire en coin étirant ses lèvres.


“- Il n’y a que toi qui éblouit les podiums mon ange… Et après la magnifique brune au regard azur, je crois que je suis en train de tomber sous le charme de celle aux cheveux de feu. Magnifique, comme toujours…”


Le ton bas la fit frémir et rosir. Les joues colorées de plaisir, elle sourit, reprenant doucement les lèvres de son amant. Profitant de la tendresse de l’instant, elle finit par se blottir dans les bras du noiraud qui la serra contre lui pour jouer avec ses longues mèches colorées, fasciné par la fluidité avec laquelle elles glissaient entre ses doigts.


“- Magnifique… Moj aniol…”


Mais à contrecœur, il finit par la laisser partir, même s’il aurait voulu continuer à caresser les cheveux soyeux de sa petite-amie. D’une phrase pleine de sous-entendus, elle lui promis que ça viendrait, obtenant une mine étonnée puis amusée du noiraud qui embrassa une dernière fois ses lèvres avant de la laisser filer prendre une douche.

Pendant ce cours laps de temps, la tension n’avait pas baissé, et la promesse d’un dîner en amoureux aussi doux ne faisait que l’augmenter. Vêtue d’une robe simple au décolleté qui ne laissa aucun place à l’imagination, la jeune femme rejoignit son petit-ami dans la cuisine. Ayant seulement opté pour une touche d’eye-liner qui soulignait ses yeux, elle avait laissé sa bouche délicate au naturel. Mais en voyant Andrzej lui faire un sourire en coin avant de se reconcentrer sur les derniers détails du dîner, ses lèvres prirent une jolie couleur carmin quand elle les mordilla, cachant en vain son désir.


Le regard échangé avec le noiraud lui confirma que c’était réciproque. Oh oui, ça l’était, en la voyant aussi simplement vêtue mais pourtant magnifique, il l’attira à lui pour un baiser doux mais pas moins passionné, puis lui tendit une assiette, se changeant de la seconde en prenant au passage le beurrier. Le dîner n’était pas quelque chose de très élaboré, une salade simple en plat principal et quelques grains de raisins en guise de dessert, mais ce n’était qu’un détail de leur jeu, participant à la tension douce qui monterait au fil de la soirée, jusqu’à éclater.


Cela commença par un effleurement simple lorsqu’ils se penchèrent en même temps pour attraper la bouteille de vin, puis continua avec un mouvement distrait sur le pied du verre haut, enchaînant avec un grain de raisin disparaissant entre les lèvres fines de Josepha, avant qu’elle n’en glisse un à son petit-ami en caressant sa bouche délicate au passage, terminant son geste sur sa mâchoire.


Et puis ce manège accéléra, jusqu’à ce qu’ils s’embrassent follement et quittent la table sans plus attendre.


Appréciant la vision de son ange perdu dans le plaisir, le noiraud replongea lentement entre ses cuisses brûlantes, déposant ça et là des baisers délicats sur sa peau qui ne faisaient qu'attiser le brasier ardent.


Le plaisir monta, comme une vague, avant d'exploser, emportant la jeune femme loin dans la jouissance, avec pour seul rappel à la réalité ses doigts fins serrés autour du poignet délicat de son petit-ami qui était remonté pour embrasser doucement sa joue.


Revenue de ces sensations exquises, Josepha ne tarda pas à se blottir dans les bras de son amant, déjà tombante de sommeil, les endorphines aidant. Elle eut beau lutter, au bout de quelques minutes à papillonner des yeux en profitant des caresses douces d’Andrzej sur son bras, elle finit par se laisser emporter par le sommeil, sombrant dans la douceur des bras de Morphée tandis que son petit-ami se dégageait de son étreinte pour la laisser dormir sereinement.


Lui n'avait pas sommeil, encore une fois, et malgré l'appel à la luxure qu'était sa petite-amie, il savait que ce n'était pas la solution. Non, à cet instant il n'y avait aucun plaisir à être seul, et il n'était pas tellement excité. Plaisir d'offrir, joie de recevoir, scandaient les étiquettes dorées de pochette cadeau, mais ce soir il préférait se contenter de la première proposition.


Non pas qu'il n'aimait pas cela, mais la satisfaction de combler sa partenaire primait sur le reste, et il n'y avait à ses yeux pas plus joli tableau que l'étincelle de défaillance dans un regard qui se perd dans le plaisir. C'était cela, être sans artifice, dans le plus simple appareil à seulement ressentir un plaisir brut inimitable avec un autre que soi.


Et s'il pensait ressentir une véritable harmonie, il était bien loin du plaisir d'une réelle symbiose avec son âme-sœur.


Mais pour apaiser ses craintes, ces sensations étaient bien suffisantes, ce plaisir déposait un voile doux sur son esprit angoissé.

Étrangement, il s'était laissé atteindre en cascade par Josepha, jusqu'à se mettre à nu, littéralement, faisant d'elle la seule personne à pouvoir le cerner correctement, à savoir si son retrait était synonyme de malaise anxieux ou d'un profond désintérêt - jamais de la timidité - voire d'une absence. Il y avait encore beaucoup de détails enfouis, mais le peu découvert suffisait à le comprendre.


Laissant Josepha dormir à poings fermés, il quitta la chambre pour aller s'isoler sur le balcon du salon, récupérant un paquet de cigarettes caché derrière une rangée de livres de la bibliothèque du salon. Torse nu, il embrasa le tabac avec une allumette, puis inspira une première bouffée en fermant les yeux.


Il ne pouvait pas s'en empêcher, de temps en temps, de profiter d'un moment seul apaisé par la nicotine. Caroline et son histoire de cigarette mondaine l'avaient finalement emporté, et il était quelques rares instants comme ce soir où il se laissait aller, regardant le bâton de tabac se consumant lentement dans la nuit noire éclairée par les lampadaires municipaux.


Il n'était pas tard, à peine minuit passé, mais c'était en semaine, et la fatigue devait avoir eu raison de beaucoup qui avaient déjà fermé les volets et éteint la lumière. Seul sur son balcon, seulement éclairé par les lampadaires et les enseignes néons plus bas, Andrzej frissonna. Il faisait froid, clairement froid, et malgré qu'il soit habitué aux températures glaciales de son pays natal, il restait un tantinet sensible, ne s’opposant donc pas à la clémence météorologique de la France. Il frissonna alors, abandonnant sa cigarette qui se consumait lentement. À peine quelques bouffées de nicotine, c'était suffisant, la fin était occupée par le spectacle étrangement satisfaisant de la cendre se dispersant dans le vent qui balayait presque toujours la rue.


Certains diraient qu'il gâchait de l'argent, compte tenu du prix d'un paquet, mais il s'en fichait pas mal, grillant seulement une cigarette de temps en temps de nuit pour se rappeler avec nostalgie sa tante qui pensait être discrète à fumer quand il avait le dos tourné. Mais les nuits d'été, l'odeur du tabac s'infiltrait par la fenêtre entrouverte, et le foulard de Miarka gardait toujours un relent de tabac froid qui lui donnait la nausée quand elle le serrait trop longtemps contre sa poitrine forte en ébouriffant ses cheveux..


En addition à ce malaise, il avait toujours les remarques de Joe dans un coin de la tête qui lui faisaient remarquer à quel point c'était nocif, et qu'il n'y avait rien de bon à retirer de cette addiction. Rien, au contraire...


Alors après avoir pris quelques bouffées, il laissa la braise remplacer le tabac peu à peu, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien. Après cela, il ferait tomber les derniers restes par-dessus la rambarde du balcon avant de jeter le filtre dans le cendrier discret qui était là pour leurs amis fumeurs.

Ensuite, il retournerait à l'intérieur, se glisser sous les draps après un rapide détour par la salle d'eau pour effacer le goût du tabac qui restait sur le fond de sa langue. Et puis tourné vers sa petite-amie, rassuré par son souffle régulier, il s'endormirait, la rejoignant dans le doux monde des rêves.


*

*

*


“- Allez, ça ne peut pas te tuer…”


Si, ça allait le tuer. Ou du moins, très probablement. Les doigts crispés sur son verre, Andrzej balaya la petite foule en hurlant intérieurement. De l'extérieur, hormis son regard trop vif et sa main crispée, on ne distinguait rien du combat intérieur qu’il menait, se retenant de s’enfuir. Comment s’était-il retrouvé là ? Ah oui, Josepha avait décrété que c’était une bonne idée et que ça ferait plaisir à Liam de le voir, vu comment leur dernière entrevue s’était finie. Mais en se retrouvant bêtement planté dans un coin du salon, le noiraud regrettait amèrement d’avoir accepté. Il se sentait comme un poisson pris au piège dans un chalut dont les mailles se resserraient.


A chaque personne de plus tentant de l’approcher, il avait l’impression de sentir ce filet l'oppresser un peu plus sans pouvoir rien faire. Un instant il avait espéré obtenir de l’aide de sa petite-amie, mais on lui avait collé un verre dans les mains, et depuis elle semblait l’avoir oublié. Lui n’était qu’un poisson pris au piège. Elle était une sirène, fascinant tous les marins de part sa beauté ou son nom. Josepha Benneth.


Observant la jeune femme de loin, il esquissa à peine un sourire en la voyant rire avec un autre homme, ignorant cette étrange sensation qui le démangeait. Ce n’était pas de la jalousie, mais plutôt de la déception envers lui-même. Il se décevait lui-même de ne pas pouvoir se mêler aux autres, de ne pas être “normal”, de ne pas accepter de connaître les gens rassemblés dans cette pièce. Il le pouvait, en soi il n’avait pas peur de la foule, de la masse, tant qu’il s’y glissait incognito. Mais l’idée d’y être remarqué et de devoir échanger avec chaque individu le terrifiait. Dans son monde de “et si”, il y avait toujours cette effrayante possibilité de rencontrer son âme-sœur, et c’était exactement ce qu’il ne voulait pas. Alors il attendait que l’heure tourne, que ce ne soit pas trop impoli de partir - même s’il se fichait pas mal des bonnes manières dans ces cas-là - et vida son verre d’une traite.


Nullement dérangé par le goût de la vodka pure - parce qu’évidemment il n’y avait pas de grands crus ni d'alcools raffinés - il se servit un nouveau verre à demi-plein avant de regagner son coin, misant sur l’alcool pour oublier ses peurs. Il fallait bien qu’il se mélange, à en croire le sourire encourageant de Josepha, qui vint même le chercher pour l’introduire à deux jeunes femmes.


“- Ava, se présenta la première avec un sourire, tendant la main au noiraud.”


Sceptique, il regarda la main tendue, la délaissant sans vraiment le vouloir. Déstabilisée, la jeune femme reprit contenance après avoir croisé le sourire désolé de Josepha, et laissa sa fiancée s’introduire. Tout aussi enjouée, elle se contenta de faire un signe de la main au nouveau venu, se concentrant plutôt sur la rousse qui l’avait ramené dans la conversation.


“- Je t’ai déjà parlé d’Ava et Camille, ce sont des amies de Louis, mais j’ai déjà travaillé avec Camille. Elles habitent à New York, je passe souvent chez elles quand je vais aux Etats-Unis.”


Peu décidé à parler, il hocha la tête, évitant de s’attarder sur la main de Camille glissée nonchalamment autour de la taille de sa fiancée. Une fois de plus, cette petite voix lui criait que ce n’était pas normal, mais il la chassa, comme il l’avait fait, non sans mal, quand elle était venue l’embêter avec Liam et Louis. Jusqu’à ses dix-neuf ans on lui avait répété que c’était contre-nature, impossible, et il avait adhéré à un bon nombre d’idées sans jamais se questionner dessus. Mais en tombant sur Josepha, il avait dû changer sa vision du monde. Il n’était pas contre, loin de là, découvrant le goût de la liberté, mais chasser son enfance était compliqué. Pas quand dans les traits d’Ava il retrouvait ceux de la voisine de palier qui avait été retrouvée pendue chez elle, désespérée de ne rencontrer que de la haine.


Le jeune homme frissonna, ce qui ne passa pas inaperçu auprès de sa petite amie. Se détournant de la conversation qui avait repris, bien sûr sans le noiraud, elle le questionna sur son air absent d’un regard. En quelques phrases, il lui expliqua son malaise, perdu dans ses pensées. Il revoyait toujours cette jeune femme de ses yeux d’enfants, sans comprendre la réelle dimension de la mort.

Au lieu de rassurer Josepha, il l’inquiéta, réalisant seulement en croisant son air inquiet qu’il avait parlé d’une voix froide, dans sa langue maternelle. Se reprenant, il pressa son épaule en soufflant à son oreille que ce n’était rien d’important, avant de se défaire de son étreinte.


Il avait besoin d’air, oppressé par la foule et maintenant par ce souvenir qui revenait le hanter par périodes. Cherchant l’extérieur, il trouva Liam, un paquet de cigarettes à la main, qui prenait la même direction. Comprenant que ça n’allait pas, il passa son bras autour des épaules de son cadet et le poussa gentiment vers le balcon de droite d'où il dégagea les quelques fumeurs qui s’y trouvaient déjà. Il les envoya sur l’autre balcon et referma la fenêtre pour leur laisser un peu d’intimité.


“- Ça va ce soir ?


- Trop de monde.”


Il fallait répondre franchement. De toute façon Liam connaissait déjà la réponse.


“- Merci d’être venu, ça me fait plaisir. Sincèrement. Je sais que c’est beaucoup pour toi, j’ai pris mes précautions. J’ai contrôlé les marques de tout le monde, avoua-t-il. Ou alors ils ont tous trouvé leur âme-sœur.”


Touché par cette attention, Andrzej fit un sourire bref à son frère. Il n’allait pas forcément baisser sa garde pour autant, c’était inconscient, mais il se sentait plus léger maintenant qu’il savait cela. Malheureusement ce poids avait été remplacé par un autre, et ça, Liam l’avait bien vu. Le nom de cette fameuse voisine le fit frissonner à son tour. Il avait cru s’être débarrassé de ce malaise, mais il avait lui aussi cette image de la jeune femme sans vie, sans couleurs, pendue à cette corde. Et pire, il se souvenait de tout le reste, du peu d’importance qu’on avait accordé à l’enfant qui l’avait découverte, tout comme le dépit avec lequel on l’avait décrochée.


Du bout du pied, il toucha son frère, le sortant de ses pensées alors qu’il semblait être complètement parti.


“- Si tu veux en parler, je suis là. Moi aussi je pense à elle.


- Hmm…”


Sans répondre, Andrzej vida son verre d’une traite, ce qui fit hausser un sourcil à Liam


“- Je tiens l’alcool, lâcha-t-il simplement.


- Tu as ça dans le sang peut-être ? rétorqua son frère.


- Je suis polonais, lâcha-t-il en haussant les épaules, comme si cela répondait à toutes les questions du monde, ce qui au passage, amusa grandement son aîné.”


Certes, il était habitué à boire, Martha n’avait jamais été contre lui faire boire un petit verre ou deux pour qu’il dorme d’une traite et ne l’embête pas avec ses cauchemars d'enfant, mais cela datait un peu. Et comme il n’y avait plus sa tante dans vie depuis longtemps, il n’était plus forcément habitué à enchaîner les verres lors de soirées arrosées plus qu'à la raison s'éternisant avec les voisins assit autour de la petite table ronde du salon, mais c’était un détail ignoré plus ou moins volontairement.


Le plus âgé soupira, amusé puis vida à son tour son verre, ou du moins celui qu’il venait de trouver, abandonné sur le balcon, ce qui tira un rire à Andrzej. C’était tellement rare pour Liam, qu’il en profita, proposant un nouveau verre à son frère, qui ne parut pas trop hésiter. Rassuré par le détail reliant tous les invités et par le fait que Liam ne semblait pas le laisser seul, il accepta de suivre ce dernier dans la cuisine, attrapant au passage la bouteille de vodka à demi entamée.


“- La dernière plante que j’ai vu entre tes mains est morte, gloussa le noiraud en faisant tinter son verre contre le pot de l'anthurium. Na zdrowie !


Amusé, Liam s’appuya à son tour contre le plan de travail, récupérant sa bière au passage. Il n’avait pas vu son frère comme ça depuis... non, en fait il ne l’avait jamais vu ainsi. Et en le voyant finir son verre d’une traite, il comprit bien vite que ce n’était pas parce qu’il était heureux. Certes il le semblait, il avait l’alcool joyeux, mais il n’était pas à l’aise pour autant. La preuve, il s’était réfugié dans un coin à la première occasion, et n’en était parti qu’avec Josepha qui avait passé un bras sous le sien. Et puis après il n’avait pas quitté son frère depuis qu’il l’avait entraîné dans un tête à tête familial. Même Louis avait été chassé de la cuisine, pourtant son petit-ami ne manquait jamais de réclamer un baiser ou de lui faire une crasse gentillette.


Malheureusement, plusieurs verres plus tard, il fallut bouger, et aller se mêler à la foule alcoolisée qui dansait avec joie, ayant même invité le voisin du dessus à se joindre aux festivités. Libéré, et surtout encouragé par Josepha, Andrzej chanta avec joie, quoiqu’un peu faux, accompagnant les francophones de la soirée qui s'époumonaient déjà sur le titre Résiste de France Gall. Et parce que c’était la fin de la soirée, les chansons suivantes étaient des tubes, que, grâce à Caroline et ses lubies, le noiraud les connaissait. Et une fois de plus, il se retrouvait à tout donner sur Bohemian Rhapsody, l’incontournable de Queen, spectacle que seules Josepha et Caroline connaissaient. D’ailleurs, réalisant cela, Joe fit un signe à Liam qui s’était laissé entraîner avec tous les autres.


Visiblement trop occupé à rire, le noiraud ignora sa grimace, entraînant son frère dans son fou rire alors que la rousse essayait justement de lui faire comprendre qu’il fallait arrêter. Mais pourquoi arrêter quand il se lâchait enfin ? Parce que ce n’était pas lui, mais ça, elle était la seule à le savoir et surtout à le voir, encore assez lucide.


Assez lucide parmi les autres pour voir un filet de sang couler le long du poignet du noiraud, et goutter sur son t-shirt noir quand il réalisa qu’il était blessé. N’attendant plus, elle traversa la foule, sachant ce que cela signifiait. C’était déjà arrivé une fois, et ce n’était franchement pas bon signe. De l’autre côté de ce lien maudit, son âme-sœur en avait probablement marre de l’entendre brailler avec des gens tout aussi saouls.


Refroidi par la douleur qui devait être cuisante, Andrzej se défit de l'étreinte maladroite de son frère, tombant presque immédiatement dans celle de Louis qui le voyait vaciller. Liam le chercha comme s’il s’était évaporé, sans voir qu’il était simplement derrière lui en train de regarder la plaie se résorber et le sang arrêter de couler.


“- Tu sais quoi ? Qu'il aille se faire foutre… il peut se jeter du haut d'une falaise j'arrêterais pas…”


Pour appuyer ses propos décousus, le jeune homme s’empara d’une bouteille au hasard sur le champ de bataille qu’était la table, et prit une longue rasade. La brûlure de l’alcool ne le dérangea pas, bien que le goût de la vodka pure soit affreux. Et il reprit une gorgée, encouragé par un fêtard tandis que Josepha tentait de se frayer un chemin rapidement à travers le salon.


Heureusement, Liam débarqua à cet instant pour lui retirer la bouteille, aidant son petit-ami à arracher l’alcool des bras de son frère, qui serrait la bouteille contre sa poitrine en grondant comme un enfant.


Maintenant sans sa bouteille et sans personne pour chanter avec lui, Andrzej croisa les bras en marmonnant une floppée d’injures en polonais, choquant son frère qui en reconnu un bon paquet. Après la chanson c’était au tour des insultes, et le noiraud était apparemment définitivement tombé dans sa langue natale, incapable de se souvenir des autres dialectes qu’il connaissait. Et parmi toutes les personnes restantes, il n’y avait heureusement qu’une seule qui comprenait tout ça, peut-être Louis et Josepha aussi, mais c’était trop rapide pour être intelligible.


Trop rapide pour ceux qui essayaient de l’arrêter, il réussit à se dégoter une nouvelle bouteille, rapidement arrachée par le brun qui s’attira ses foudres.


“- Putain, il est où le bouton stop ? marmonna Louis.


- Y’en a pas ! Et c’est sa première cuite ! répondit Liam en plaquant une main sur la bouche du plus jeune qui débitait un bon paquet d’insanités avant d’exploser de rire.


- Oh bordel, on est mal foutus, soupira le brun en les attirant vers la salle de bains heureusement libre. S’il te plaît Andrzej, ralenti le rythme…”


A la place le noiraud redoubla de rire, se laissant tomber contre un mur dès que son frère le laissa s’asseoir. Plié en deux au sol, il lança quelque chose au français entre deux hoquets, faisant soupirer Liam qui avait été brusquement refroidi dans le fou rire partagé quelques instants plus tôt. Préférant ne pas traduire, il fouilla dans un des placards de la salle d’eau pour sortir une serviette propre et l’humidifia sous le robinet pour nettoyer le sang qui avait coulé, comme par magie, sur le bras d’Andrzej qui était bien trop loin pour réfléchir clairement à ce qu’il se passait.


“- Allez Andy, il va falloir se reprendre, souffla Louis. Et arrêter de jouer avec ça, c’est mes lacets…”


Semblant fasciné par les baskets du chef cuisinier, il s’était mit à jouer avec les lacets noirs, tirant sur un bout pour essayer de défaire la boucle, fixée par un double nœud. Quand le brun bougea pour se dégager, le noiraud attrapa sa cheville, le faisant grimacer. Il était maintenant pris au piège, un piège heureusement inoffensif, à moins qu’il ne marche un de ses lacets défaits. Quand Andrzej s’attaqua à la seconde chaussure, Louis râla de nouveau, le suppliant de laisser ses lacets tranquilles, sachant qu’il était prêt à les défaire entièrement de la chaussure. Pour seule réponse, il eut un nouveau gloussement, ponctuant une phrase qui fit lever les yeux au ciel une fois de plus à Liam.


“- Et qu’est-ce qu’il m’a dit là ?


- Alors littéralement “un cactus va grandir ici”, traduit-il en désignant sa paume. En gros, ça a peu de chance de se produire. Notre équivalent de “quand les poules auront des dents”.


- Vous avez la main verte dis-moi, se moqua gentiment Louis. Ta passion pour les plantes elle vient de là en fait…


- Merde, je suis démasqué… C’est toujours mieux que l’alcool hein ?


- Je te rappelle qu’on dit “saoul comme la Pologne” et que c’est pas pour rien.”


La phrase du brun fit rire les deux autres lucides de la pièce. Liam attira l’attention de son frère en lui tendant une brosse à dents, ce qui sembla suffisamment susciter son intérêt pour qu’il arrête de jouer avec les lacets de Louis. Jusque là restée silencieuse avec la serviette tachée de sang dans les mains, Josepha se passa une main sur le visage avant de baisser de nouveau les yeux sur son petit-ami. Et en le voyant rire seul, elle se demanda à quoi pourrait ressembler sa gueule de bois du lendemain.


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